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Trisomie 21 : Un film qui casse les préjugés sur l’autonomie

Trisomie 21 : Un film qui casse les préjugés sur l'autonomie
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« J’irai décrocher la lune » : Tel est le titre du nouveau long métrage de Laurent Boileau, qui a choisi de s’intéresser aux personnes porteuses de trisomie 21 vivant en autonomie. Un film documentaire qui sortira en salles prochainement. Âgé de 51 ans, Laurent Boileau est un réalisateur français qui s’investit plus particulièrement dans des films avec une portée humaine et des rencontres.

 

Pourquoi avoir choisi le titre : « J’irai décrocher la Lune » pour votre film sur la vie avec une trisomie 21 ?

Laurent Boileau : Dans ce titre il y a deux choses qui me plaisaient. Dans un premier temps, c’est l’affirmation que je prête aux protagonistes du film en disant « j’irai » décrocher la Lune. Ils affirment haut et fort leur volonté, leur souhait, leur ambition. Dans un second temps, cette notion qui peut venir nous interpeller, d’une lune qui semble inaccessible. Parce que décrocher la lune, cela semble impossible.

Quand j’ai rencontré Robin il y a quelques années, il me disait : « Je voudrais chanter sur scène ». Je pense que peu de gens pensaient qu’il le ferait un jour. Finalement à travers notre aventure cinématographique, il a décroché sa lune, en chantant sur scène. Ce titre montre leurs capacités à exprimer leurs désirs, leur ambition et que si on sait les accompagner, il y a plein de choses qui sont tout à fait possibles. Après ce n’est pas à moi de juger quelle est la lune de Robin, de Gilles-Emmanuel ou de Stéphanie mais ils ont des projets des ambitions et ils peuvent très bien se réaliser, et comme pour tout un chacun.

À qui s’adresse ce film ?

Laurent Boileau : Il peut s’adresser à tout public, parce que je pense que c’est un film qui vient déstabiliser la vision qu’on peut avoir de la trisomie 21. Je souhaite qu’un public très large puisse voir ce film parce que beaucoup seront surpris à travers le parcours des protagonistes, de ce qu’ils vivent, ce qu’ils ressentent ou de ce qu’ils peuvent exprimer.

Et puis peut-être par rapport aux familles qui sont touchées par la trisomie 21, le film peut leur offrir un horizon possible, du fait que je dresse le portrait de personnes adultes qui ont une trentaine d’année. Cet horizon n’est pas habituel, il n’est pas celui que l’on pense prévoir pour les personnes porteuses de trisomie 21.

Je voulais faire un film positif, porteur d’espoir, sans pour autant masquer la réalité des difficultés du quotidien. Quand vous regardez sur internet tout ce qui se vit, c’est soit beaucoup de difficultés, soit beaucoup de rêves, avec les personnes qui ont des parcours extraordinaires ou inattendus. Et entre les deux il n’y a pas grand-chose. Je voulais montrer la réalité du quotidien au public.

Qu’est-ce qui vous a donné l’envie de faire un film sur le thème de la trisomie 21 ?

Laurent Boileau : Au cours de ma vie j’ai rencontré plusieurs personnes porteuses de trisomie 21. Et je m’étais dit : « Tiens, ça m’intéresserait un jour, peut-être, de me pencher plus particulièrement sur quelques-uns d’entre eux et de faire un film ». En 2016, j’ai cherché à travers qui je pouvais faire un film.

J’ai trouvé Robin, Éléonore, et toutes ces personnes qui vivent à Arras. Je suis allé les rencontrer et j’ai eu un coup de cœur. Je me disais que c’était vraiment des personnes que j’avais envie de connaitre et à qui j’avais envie de proposer de partir dans une aventure où on partage un peu leur vie, leurs souhaits, leurs rêves, leurs difficultés. L’aventure est partie comme ça.

Qui sont les différents acteurs et leur profil ? Qu’est ce qui fait que vous les ayez choisis ?

Laurent Boileau : Déjà, j’ai choisi ceux qui étaient motivés par le film. À Arras, ils sont quatorze adultes porteurs de trisomie 21 à vivre en autonomie et tous n’avaient pas la même motivation, la même envie de partager et de me confier des aspects de leur vie. Il y avait déjà une sélection à partir de ce souhait ou non de participer au film.

J’ai aussi fait des choix pour que chaque protagoniste du film apporte quelque chose de différent dans son témoignage. J’ai évité de choisir des personnes qui pouvaient avoir des parcours un peu similaires et donc pouvaient paraître redondants. J’ai essayé avec chaque protagoniste de travailler avec différents aspects de sa vie. Pour certains, c’était la relation au travail, pour d’autre l’autonomie, la relation aux parents, l’enfance… J’ai fait en sorte que chaque personnage apporte une dimension spécifique et complémentaire.

Comment êtes-vous entré en contact avec les différents acteurs et actrices du film ?

Laurent Boileau : Je les ai trouvés via internet parce qu’ils avaient fait l’objet, pour certains d’entre eux, de reportages notamment à la télévision ou dans la presse écrite. C’est comme ça que j’ai eu connaissance de leur existence. Après, je les ai contactés et je suis venu les voir. Robin m’a accueilli et hébergé. De ce fait là, une relation forte s’est nouée.

C’était un peu une immersion, j’ai vécu 45 jours chez lui, étalés sur plusieurs années entre le temps de repérage et de tournage. Forcément, quand on vit au quotidien chez quelqu’un, il y a à la fois une proximité qui s’installe et des confidences qui se font. Cela m’a permis de nouer une relation spécifique avec Robin, mais aussi avec les autres du fait d’être en immersion avec eux.

Combien de temps s’est écoulé entre le début du projet et la sortie du film ?

Laurent Boileau : J’ai rencontré les acteurs à l’automne 2016 et le film sort le 18 mars*, donc cela fait environ 3 ans.
* Sortie du film décalée en raison de l’épidémie de coronavirus.

Avez-vous eu besoin de rassurer les acteurs ?

Laurent Boileau : Non, pas en ces termes. Il y a eu besoin de s’apprivoiser, de se connaître. Vous ne racontez pas votre vie naturellement en quelques minutes. Il faut se mettre en confiance, pour que tout d’un coup, il y ait un climat qui permette le partage sans peur. Où l’on sent qu’il y a un respect en face de nous qui fait qu’on peut se confier, que le regard en face restera bienveillant pour accueillir ces confidences.

Par exemple, dans les séquences que j’ai tournées avec Robin, il m’a confié des choses qui, à mes yeux, étaient trop personnelles pour être intégrées dans le film. Cela n’aurait pas été respectueux de les partager à un large public.

Avez-vous rencontré des difficultés lors du tournage ? Ou de bonnes surprises ?

Laurent Boileau : Les deux ! Pour les difficultés, dans les premiers temps de tournage, certaines choses qui ne marchaient pas sur deux aspects. J’ai demandé à mon chef opérateur de changer de façon de tourner, parce qu’il n’était pas assez patient. Nous travaillions sans doute avec une approche trop classique et qui n’était pas adaptée aux personnes que nous filmions. Cette notion du temps est vraiment primordiale.

Je me suis aperçu dans les premiers rushs que c’était souvent quand la caméra quittait le personnage ou allait filmer autre chose que quelque chose d’intéressant se passait. Je lui ai donc demandé de beaucoup moins découper les scènes et d’être patient, d’attendre que quelque chose se passe avant de peut-être envisager de faire autre chose.

Je me suis aussi rendu compte que la communication par la parole ne peut pas fonctionner avec tout le monde. Avec Robin, nous discutons assez facilement, avec d’autres c’est plus difficile. Ils ont la parole, l’élocution un peu plus délicate. La difficulté était de pouvoir entrer en relation avec chacun et de prendre conscience qu’il n’y a pas que la parole pour s’exprimer. Il faut être à cette écoute et de ce fait là, ça c’est une bonne surprise : à partir du moment où j’ai fait ce travail, que j’ai réussi à identifier pour chacun un moyen d’expression dans lequel il se sentait à l’aise, j’ai vu naître tout d’un coup des confidences, des instants, des choses qui devenaient pertinentes.

Je prends l’exemple de Stéphanie, avec qui j’ai pu identifier que l’écrit était plus facile et lui permettait de beaucoup mieux s’exprimer. Cette séquence, qui est dans le film, où elle partage son rêve d’avoir une machine à laver, a fonctionné par ce dialogue où je lui pose des questions et où elle me répond par écrit. Si je lui avais posé les mêmes questions en lui demandant de répondre à l’oral, je n’aurais sans doute jamais obtenu ce qu’elle m’a confié.

Autre exemple avec Gilles-Emmanuel, qui a voulu participer au film avec des chansons. Honnêtement, au début je me suis dit que je n’en ferais jamais rien. Et puis en fin de compte, en décodant pourquoi, je me suis aperçu que toutes les chansons qu’il avait choisies étaient des chansons qui parlaient de la famille, du père, de la mère, de l’enfant. Pourquoi ces chansons le touchaient lui, très fort ? Parce qu’elles dépendaient de sa vie personnelle. Il se servait des paroles de chanteurs pour exprimer quelque chose qu’il avait du mal à exprimer avec ses propres mots.

Il y a déjà eu plusieurs projections de votre Quelle a été la réaction du public ?

Laurent Boileau : À Arras, on nous a posé beaucoup de questions. La réaction a été très positive, c’est-à-dire que les gens étaient à la fois émus par ce que peuvent confier les protagonistes du film et très surpris de voir la réalité de leur vie, et leurs capacités à exprimer des choses. Je pense que c’est une bonne chose parce que nous avons beaucoup de peurs et de préjugés sur la trisomie. Si on a en face de nous quelqu’un qui n’est pas en capacité de répondre dans les vingt secondes à la question qu’on lui pose, on considère qu’il n’a pas compris, qu’il ne comprend rien et qu’il n’a rien à dire, or ce n’est pas le cas.

C’est juste qu’il a besoin de plus de temps, peut-être d’une formulation différente, peut-être d’une réponse d’une autre forme. La société actuelle ne nous permet pas de rentrer facilement en relation avec des gens qui ne rentrent pas dans ce cadre-là. Je pense que c’est cela qui surprend le plus le public : c’est de voir que ces témoignages peuvent émerger sous de nombreuses formes différentes, et surtout, de la part de personnes pour lesquelles on s’attend à ce qu’elles ne comprennent pas ou n’aient rien à dire.

Est-ce que le film a changé quelque chose pour vous ? Si oui, en quoi ?

Laurent Boileau : Cela a changé le regard que je pouvais avoir sur des personnes porteuses de trisomie 21 parce que j’avais les mêmes préjugés, les mêmes idées préconçues. Evidemment c’est venu me bousculer. C’est venu me montrer qu’on a souvent tendance à penser à la place des autres.

Et finalement, il y a dans la relation que j’ai eue avec eux, des similitudes avec ce que j’ai connu vis-à-vis d’autres personnes, comme par exemple les personnes vieillissantes, à qui on laisse une autonomie, mais en décidant parfois à leur place, en pensant ce qui est bon, ce qu’elles doivent faire ou ne pas faire, où elles doivent habiter, en réduisant ou en élargissant leur espace de décision, d’autodétermination. Ils m’ont beaucoup donné, ils ont été très généreux avec moi, c’est une belle leçon de vie.

Éléonore Laloux et Robin Sevette dans le film "J'irai décrocher la Lune"
Éléonore Laloux et Robin Sevette dans le film « J’irai décrocher la Lune »

 

Robin Sevette : « J’avais besoin d’exprimer mes émotions »

Témoignage. Robin Sevette, 28 ans, est l’un des acteurs principaux du film.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de participer à ce film ?

Robin Sevette : J’avais besoin d’exprimer mes émotions.

Comment s’est passé le tournage pour vous ? Quelles ont été les difficultés ? Les choses plus faciles ?

Robin Sevette : J’aimais bien être filmé, tourner des séquences.

Intervention de Laurent Boileau : Il aimait bien être filmé. Mais il y a des jours où il n’avait pas trop envie. Je sentais bien que la caméra devait être remballée et que nous devions passer à autre chose, que nous reviendrions le lendemain.

Est-ce que les caméras ont été une source de stress pour vous ?

Robin Sevette : Non, je me sentais à l’aise.

Dans le film, vous chantez devant une foule dans une salle. À quoi pensiez-vous à ce moment-là ?

Robin Sevette : Je pensais au rêve que je réalisais.

Est-ce que cela vous a encore plus motivé à continuer de chanter ?

Robin Sevette : Oui, je suis encore plus motivé qu’avant !

Plus globalement, quel souvenir garderez-vous du tournage ?

Robin Sevette : Le souvenir que j’avais mis le feu sur scène !

Est-ce que depuis les projections du film, des personnes sont venues vous parler ou vous ont envoyé des messages ?

Robin Sevette : J’aimerais bien qu’ils m’écrivent, pour qu’on se rencontre.

Est-ce que vous auriez un message à faire passer aux spectateurs qui ont vu le film et qui se sont identifiés à vous ?

Robin Sevette : Je suis prêt à leur dire de tous venir chez moi et je répondrai à leurs questions.

Est-ce que le film a changé quelque chose pour vous ? Si oui, en quoi ?

Robin Sevette : Oui. Je n’aurais pas chanté sur scène s’il n’y avait pas eu ce film.

Avez-vous quelque chose à ajouter ?

Robin Sevette : Je suis prêt à être filmé de nouveau ! Pour m’exprimer de plus en plus.

Laurent Boileau : (Rires) Dans l’ensemble ils ne se sont pas lassés d’être filmés !

 

Pour en savoir plus sur ce film dédié à la vie en autonomie avec une trisomie 21, vous pouvez cliquer ici.

Propos recueillis par Camille Romand

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