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Témoignage: « Il faut une reconnaissance du droit de chacun au choix de sa vie »

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Témoignage : En trente-cinq ans de vie à domicile, Mireille Stickel a essayé de nombreux modes d’organisation pour ses aides humaines. Elle nous fait partager son expérience et ses observations.

 

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

– Au niveau collectif, je suis vice-présidente de la Coordination Handicap et Autonomie – Vie Autonome France (CHA-VAF), et membre du Comité National Consultatif des Personnes Handicapées (CNCPH). Pour celui-ci, je siège au Comité National de la Bientraitance et des Droits (CNBD), avec une mission de conseil auprès des Ministères chargés des Personnes Âgées ou Handicapées.

– Au niveau individuel, depuis vingt-cinq ans, je suis enseignante de Physique-Chimie. Je travaille au Centre National d’Enseignement à Distance (CNED) en raison de mon Infirmité Motrice Cérébrale (IMC). Acquise à ma naissance, cette lésion d’une petite zone du  cerveau commandant la motricité entraîne une incoordination gestuelle et une prononciation « particulière », induisant une dépendance physique vitale. Pour autant, j’ai toujours aspiré à mener ma vie comme je le voulais, notamment hors institutions. Ainsi, je vis à mon domicile personnel depuis plus de trente-cinq ans.

Mais le terme « maintien à domicile » m’horripile : mon but n’est pas d’être « maintenue » où que ce soit, mais de mener ma vie, accompagnée certes, mais comme je l’entends ! Pour moi, la nécessité physique d’une aide humaine ne peut être prétexte à laisser d’autres concevoir à ma place ce qui me concerne : ma vie est une suite de combats !

 

Racontez-nous votre parcours et votre expérience en matière de dispositifs d’aides humaines autogérées.

En aides humaines, j’ai à peu près tout testé : vie communautaire avec aide intégrée, co-responsabilité de services autogérés d’auxiliaires de vie, emploi direct, services prestataires de « maintien à domicile » et de soins, infirmiers libéraux… et panachage !

En outre, par le manque de financements des aides humaines jusqu’en 2005, vivre chez moi sans trop grande difficulté n’a été possible que par l’hébergement de « colocataires » : ils acceptaient de compenser les besoins en instance (présence de nuit, imprévus, etc.).

Ces expériences multiples m’ont amenée à conclure que :

– D’une part l’organisation de mon quotidien par autrui parvient forcément au morcellement de ma vie et, plus grave, de mon corps…  

– D’autre part l’emploi direct me conduit à une insécurité chronique, impliquant d’affronter seule tous les aléas…

– Au final, mon vécu en services autogérés, malgré des phases ardues, a été le plus satisfaisant pour moi. C’est donc ce système que j’ai adopté aujourd’hui.

 

Qu’est-ce qu’un dispositif autogéré ?

En partant des définitions, l’autogestion permet aux intéressés de décider pour eux-mêmes, et le dispositif autogéré les associe dans ce but. La création d’associations à cette fin est le moyen le plus simple : les adhérents gèrent ensemble, en prenant des décisions collectives. C’est à l’association, employeur officiel, qu’incombent la gestion administrative (payes, charges, comptabilité…) : on peut choisir, soit de les répartir entre les adhérents selon leurs compétences, soit de les confier à un spécialiste rémunéré. Mais chaque adhérent organise son quotidien, se mettant d’accord avec ses éventuels coéquipiers (un à trois) avec lesquels il partage les mêmes salariés. Ainsi, il choisit ses horaires (élaboration des plannings) et ses auxiliaires de vie (recrutement et nature du contrat). Sur ce principe, il est possible de s’organiser de différentes manières et d’imaginer de nouveaux systèmes… comme j’en ai fait l’expérience au sein de deux structures : « Vivre autonome » à Grenoble, et « Rescousse » à Montpellier.

 

Pouvez-vous nous en dire plus au sujet des ces deux structures ?

À Grenoble, « Vivre autonome » a résulté de la candidature aux financements mise en place en 1981 pour compléter l’Allocation Compensatrice pour Tierce Personne (ACTP), remplacée en 2006 par la Prestation de Compensation du Handicap. L’ACTP était trop insuffisante pour permettre à des personnes très dépendantes de l’aide à domicile de financer toutes leurs heures d’aide humaine. Il fallait trouver une solution complémentaire pour permettre à chacun de financer les heures d’aides humaines indispensables avec le peu de ressources dont il disposait. C’est ainsi que s’est construite l’association « Vivre autonome », à partir d’un groupe déjà existant qui s’est pérennisé : tous jeunes et néophytes en la matière, nous avons pratiqués la répartition des tâches entre tous les volontaires, chaque équipe d’adhérents devant être autonome pour le recrutement et la planification de ses salariés.

 

« Rescousse » est née une vingtaine d’années plus tard, à Montpellier. Dans un premier temps, son but était de sécuriser l’emploi direct en partageant, à moindre coût, un salarié pour des actes non vitaux. Pour que cela fonctionne, les volontaires pour ce service innovant cédaient une partie de leurs heures à un autre usager en difficulté ponctuelle. Avec l’arrivée de la PCH en 2006, un service proche de celui de Grenoble a été proposé aux adhérents, sans arriver au même succès. Ce désintéressement était essentiellement lié au nombre d’heures important auquel chacun pouvait désormais prétendre, le partage devenant alors un élément moins crucial. Après de grands chamboulements, un fonctionnement centré sur chaque adhérent, constituant à lui seul une équipe, a finalement été retenu, ce qui convient surtout à des personnes disposant de beaucoup d’aide humaine (24h/24 ou plus).

 

Aujourd’hui vous militez en faveur du développement des dispositifs d’aides autogérées. Pourquoi ?

L’aspect revendicatif de « militer » ne traduit pas vraiment ma démarche : je souhaite que cette solution soit reconnue pour être utile aux intéressés, mais c’est surtout ce que je mets en œuvre. En effet, ce système me paraît le meilleur compromis entre le désir légitime de mener sa vie à sa guise, la sécurisation nécessaire en situation de dépendance vitale et, également, une rétribution correctement orientée (même insuffisante et malmenée) du travail réalisé. Ce système répond aussi au souhait des financeurs de ne pas laisser des sommes très importantes à la gestion de particuliers… Hors des concepts, c’est mon expérience.

 

Quels sont les avantages et inconvénients de ce mode d’organisation ?

Les intérêts de ce type de structures sont la répartition des responsabilités et les mécanismes de sécurisation, à l’inverse de l’emploi direct. Outre des salaires moins malmenés, cette solution offre le respect des choix individuels dans la sécurité d’un groupement à plusieurs.

Les limites de ce fonctionnement en petites cellules – avec un tiers pour temporiser ou assumer (l’association en tant qu’employeur) – résident dans l’implication, d’une façon ou d’une autre, de tous les intéressés pour rester satisfaisant et pérenne. Ceux-ci doivent en plus tenir compte de la législation de plus en plus contraignante dans ce secteur – dans lequel les intéressés, considérés comme « clients » et pas comme partie prenante, n’ont pas droit au chapitre dans les négociations des accords paritaires… Il faut aussi que chacun accepte les concessions, obligatoires dans tout regroupement… Ces divers aspects ne résistent pas toujours à l’épreuve du temps et des faits !  

 

Qu’est-ce qui pourrait permettre à ce système de mieux fonctionner aujourd’hui ?

C’est la même chose que pour les autres systèmes. Il faut une reconnaissance dans les faits – et pas seulement dans les discours et les textes de loi – du droit au choix de sa vie par chaque personne en situation de dépendance, notamment à cause d’une déficience physique rendue handicapante par notre société ! Cette reconnaissance suppose, entre autres, de différencier :

– D’une part « la vie autonome », que défend surtout la CHA – Vie Autonome France, consistant à attribuer les moyens (humains, organisationnels, financiers, etc.) nécessaires pour faire les mêmes choix que d’autres citoyens (ni plus ni moins).

– D’autre part « l’aide à domicile », qui, en atteste le générique « maintien à domicile », entend conserver les personnes en vie biologique chez elles, mais pas leur accorder la possibilité d’être un tant soit peu acteur de la vie sociale.

 

Globalement, quel regard portez-vous sur le secteur et la problématique du maintien à domicile ?

La loi de février 2005, pour laquelle la CHA – Vie Autonome France a fort œuvré, a posé des principes corrects de compensation des handicaps. Son application initiale, bien que de géographie très disparate, a commencé à répondre aux attentes des personnes concernées… mais s’est vue ensuite gravement remise en cause, les réponses de survie étant de nouveau d’actualité : ne serait-ce qu’au niveau financier, donc humain, la situation se détériore…

Mais, selon moi, il y a plus grave : le regard social et administratif posé sur « l’aide à la personne » se résume à une approche mécaniste des besoins des requérants, les limitant à une suite d’actes techniques à réaliser par des « spécialistes ». On en vient à considérer le corps dépendant comme une mécanique à entretenir, amenant d’une part à sa chosification, et d’autre part à son dévoiement mercantile, porte ouverte vers sa « marchandisation »…

Très logiquement, chaque professionnel « défend son bout de gras », si j’ose dire… Bien sûr, chacun doit pouvoir vivre, mais l’organisation sociale ne doit pas s’effectuer « sur le dos » de ceux qui ne peuvent survivre sans l’apport physique d’autrui. 

 

Quelque chose à ajouter ?

À mon humble avis, les vraies questions se posant pour l’aide humaine ne portent pas sur le type de structure à défendre – chacune pouvant avoir son intérêt pour l’un ou l’autre – mais bien le fait de savoir quel but est à viser. Mon objectif, comme celui de beaucoup d’autres, est de choisir et maîtriser mon mode de vie, mes activités, mes réalisations… L’important est de parvenir à ce résultat-là, en permettant à chaque concerné(e) de prendre à cette fin les responsabilités souhaitées, ni plus ni moins. Pour l’instant, ce n’est pas le chemin que prend notre société, ni les problématiques qu’elle aborde en réunion au sein des Ministères. Ce constat me paraît terrible pour ses conséquences sur notre avenir commun… 

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