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Tech’Air : La résilience et l’innovation des ESAT-EA face à la crise sanitaire

Tech’Air : La résilience et l’innovation des ESAT-EA face à la crise sanitaire
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Gros plan sur Tech’Air : Ce groupe qui réunit des ESAT et une EA a su s’adapter face à la crise sanitaire

Certaines structures du secteur protégé et adapté ont joué un rôle capital au cœur de la crise sanitaire. Henri-Aurélien Chopinaud, directeur du Tech’Air, raconte.

Tech’Air, qu’est-ce que c’est ? 

Le Tech’Air appartient au groupe Vyv. Il réunit un ESAT et une entreprise adaptée sur un même site, à Villiers-le-Bel. Il y a 78 usagers au sein de l’ESAT, et l’entreprise adaptée compte 53 salariés en situation de handicap. Le site réunit donc à peu près 130 personnes en situation de handicap pour une trentaine d’encadrants valides.

Quelles sont ses activités principales et comment ont-elles été définies ?

Il y a 7 ans, quand j’ai repris la direction de ce site, on s’est demandé quelle activité nous pouvions réellement mettre en place. Nous étions alors positionnés sur des activités de type ESAT ou CAT : du conditionnement de toutes sortes, en vendant à des prix très bas, en concurrence avec les autres ESAT, voire même parfois avec les prisons. Et ce, sans développer de réelles compétences et avec un avenir qui s’assombrissait.
C’est pourquoi nous avons fait travailler nos collaborateurs autour d’une notion américaine qui s’appelle le « Care » ou l’attention à. L’attention à nos salariés, à nos clients partenaires, et aux patients. Nous sommes demandé quelle pouvait être notre utilité dans la société et dans l’économie. Nous avons voulu renverser le paradigme de la solidarité : et si c’était la personne en situation de handicap qui prenait soin des autres ? C’est donc naturellement que nous nous sommes positionnés sur les dispositifs médicaux.

Nous avons donc décidé qu’il y aurait au sein de l’Esat des petits conditionnements et des petits assemblages. Et au niveau de l’EA, des compétences de monteurs et de câbleurs, mais toujours sur le marché des dispositifs médicaux.

L’univers médical est particulièrement exigeant…

Effectivement. Pour réussir ce pari, il fallait remplir certaines conditions :
– La première consistait à casser les idées reçues en démontrant que nos usagers et salariés en situation de handicap sont capables d’atteindre le niveau de perfection et de qualité nécessaire aux dispositifs médicaux, ce qui implique une excellence dans la réalisation. Nous devons notamment respecter l’une des normes les plus exigeantes au monde : la norme Iso 13485, très dure en termes de suivi de la traçabilité des composants des produits. Il nous a fallu deux ans pour construire un réseau d’entreprises locales qui nous font confiance.

– Deuxième condition : Il fallait que l’ensemble des locaux soit adapté à la fabrication de dispositifs médicaux, donc créer des salles propres. Nous avons six salles hors poussière et nous avons investi plus de 2 millions d’euros sur la construction de 4 salles blanches – également normées Iso par rapport à la qualité de l’air et des bactéries qui y sont traitées. Concrètement, dans une salle blanche, l’air est renouvelé 30 à 40 fois par heure, et il y a 1000 fois moins de particules et de contaminants que dans l’air ambiant. Dans ce type de salle, nous pouvons par exemple conditionner des pansements à escarre pour des grands brûlés. De fait, aujourd’hui nous sommes devenus le premier pôle sous atmosphère contrôlée du secteur adapté et protégé.

– La troisième condition consistait à investir sur la formation en termes de métier. Travailler en salle blanche, cela s’apprend : entrées et sorties de sas, lavages de mains réguliers, port de blouses et masques… Ce qui fait qu’en termes d’hygiène et de respect des règles sanitaires, tout était déjà acquis avant la période Covid.

Et concernant l’organisation de Tech’Air ?

Pour renforcer nos compétences, nous avons recruté un salarié valide expert en affaires réglementaires, et notamment sur la norme ISO 13485, ainsi qu’un chef d’exploitation avec 20 ans d’expérience en matière de dispositifs médicaux.
Nous nous sommes constitués, comme la norme l’exigeait, avec une administration des ventes, un commercial, et un logisticien qui a construit son équipe avec des magasiniers en situation de handicap. Le but étant de proposer une offre complète aux clients (nous fournir, monter, câbler, assembler, contrôler, envoyer…) et devenir véritablement un acteur de la sous-traitance de dispositifs médicaux en France.
Et là on ne parle plus de handicap, car lorsque l’on visite le site, on voit avant tout des professionnels, qui proposent une offre complète comme n’importe quelle PME.

Une équipe de travail du Tech’Air
Une équipe de travail du Tech’Air © Hervé Thouroude

Pouvez-vous nous donner un exemple de produits fabriqués par Tech’Air ?

Le premier de nos clients a été Air Liquide, pour qui nous produisons des régulateurs de vide, dispositifs qui désencombrent les voies respiratoires. Nous les fabriquons en totalité : nous achetons les composants, nous les assemblons et, via Air liquide qui gère l’aspect commercial et marketing, ils sont envoyés partout dans le monde.

Il y a 5 ans, lorsque j’ai rencontré les acheteurs d’Air liquide, ils m’ont indiqué qu’ils avaient besoin d’un capteur pour respirateur artificiel, que leurs prestataires ne parvenaient pas à souder, ni en Inde, ni en France. J’ai proposé que nos salariés essayent : il s’agit de souder un fil plus fin qu’un cheveu, d’une taille de 10 microns, sur un circuit imprimé qui va servir au capteur d’air pour le respirateur artificiel d’Air liquide.
C’est un composant à usage unique que l’on change entre chaque patient. Et c’est ce petit fil qui va donner aux médecins la mesure, sur le respirateur artificiel, de la qualité du souffle d’air. Cela exige donc une qualité maximale.
Je me suis adressé aux 53 salariés de l’entreprise adaptée Tech’Air. Il s’est avéré que seuls trois d’entre eux étaient capables de ne pas casser le fil, de le voir, et de réaliser les deux points de soudure. Mais trois, cela suffisait déjà à Air Liquide, et nous pouvions former d’autres salariés. Nous avons donc obtenu le marché sur ce composant et nous avons commencé à le fabriquer à la demande, en petit nombre.

C’est à ce moment-là que s’est dessiné le lien avec la crise sanitaire actuelle ?

Tout à fait. Le 17 mars, nous avons vu les commandes s’affoler, avec des demandes sur ce composant de respirateur artificiel extrêmement fortes. Au total, pendant la première vague de Covid, sa production a été multipliée par 5, et ce mondialement.
Les composants étaient commandés par notre client Air Liquide, qui lui-même fournissait ensuite les hôpitaux et cliniques dans le monde entier.

Face à cet afflux de commandes, avec nos 130 travailleurs en situation de handicap, nous nous sommes retrouvés embêtés en termes de main d’oeuvre. D’autant plus que nous avons un devoir de continuité envers certains clients, y compris pour ce qui n’est pas directement lié au Covid.

Prenons l’exemple Hekaplast, un client pour qui nous conditionnons des sets de perfusion pour les personnes atteintes de mucoviscidose. Lorsqu’on a contacté ce client pour lui dire que la chaîne allait s’arrêter, il nous a dit :”Oh non surtout pas ! Il nous en faut absolument en ce moment parce que les patients atteints de mucoviscidose ont toujours besoin de soins. Et ils ne peuvent plus aller dans les hôpitaux, qui sont saturées de cas Covid. Ce sont les infirmières de soins à domicile qui vont les voir, mais elles ont besoin de ces sets avec pansements et seringues…”.

Au même moment, Air Liquide nous a demandé de ne pas relâcher le rythme de fabrication des composants pour respirateur.

Comment avez-vous réagi devant cette situation, qui plus est à la veille du confinement ?

Parmi les 130 travailleurs de Tech’Air, absolument tous avaient de bonnes raisons liées à leur pathologie, leur handicap, leurs peurs… de rester chez eux. Mais quarante d’entre eux se sont portés volontaires pour poursuivre la production. Quelle résilience ! Ce mot a pris tout son sens lorsque l’ensemble des encadrants, tous valides, ont déclaré qu’ils étaient d’accord aussi pour continuer. Tous les jours il y avait des craintes : allons-nous être malades, allons-nous fermer l’entreprise demain… ? Mais il n’y a eu aucun absentéisme.

Dans le même temps, avec nos partenaires, nous avons également inventé, pour le capteur du respirateur, un système permettant d’encliqueter automatiquement le fil dans sa coque. En effet, avec le responsable méthode d’Air liquide et le nôtre, les plans d’une machine ont été imaginés et mis en œuvre, en passant par une entreprise qui a construit la machine en deux semaines. Cela nous a fait gagner énormément de temps lorsqu’il a fallu multiplier la production par cinq, et cela a permis de soulager les mains des travailleurs.

Nous avons aussi dû recruter de nouveaux salariés, notamment auprès de Cap Emploi, pour faire face à ces fortes demandes de production.

Vous participez également à la fabrication de tests Covid…

Oui, cette demande est venue d’un autre client, AAZ, qui nous confie l’assemblage d’autotests HIV. À la fin du confinement, ils m’ont contacté car ils avaient mis au point un test sanguin pour dépister les anticorps du Covid, et souhaitaient nous en confier la réalisation. Nous en avons alors produit plus d’un million. À noter d’ailleurs que courant mai, environ 70 % de nos effectifs sont revenus dans nos locaux.
Et en ce mois d’octobre, nous avons démarré la réalisation du nouveau test Covid. Il s’agit d’un test antigénique du même fournisseur, AAZ, qui s’effectue par prélèvement nasal mais qui permet d’avoir un résultat en 15 minutes. Nous devrions en produire également un million.

Vous êtes au cœur des innovations médicales liées au Covid. Vos équipes doivent être fières…

Oui, c’est une période assez incroyable pour nous. C’est d’autant plus intéressant que cela rejoint l’ambition que nous avions fixé il y a 7 ans pour Tech’Air : prendre soin des autres.
Auparavant, il n’y avait pas forcément de fierté dans le regard de nos travailleurs. Mais pendant le confinement, très vite, les médias se sont intéressés à nous, avec des reportages sur M6, BFM TV, dans le Figaro, Le Parisien… et là nous avons commencé à voir énormément de fierté chez nos salariés et usagers. Pour reprendre leurs mots : « Ça sauve des gens, ça sauve des vies ». Certains me racontent que leurs enfants et petits-enfants sont fiers d’eux. C’est formidable venant de la part de personnes qui travaillent en ESAT et en EA.
Nous avons reçu de nombreuses félicitations, de la présidente de département du Val-d’Oise, du maire de Villiers-le-Bel… ainsi qu’un article du Figaro qui titrait : « Ces héros, dans l’ombre des soignants » et qui a provoqué une vive émotion. Nous avons également reçu deux invitations pour la cérémonie du 14 juillet, en tribune présidentielle, avec les soignants. J’y suis allé avec une salariée de l’EA : elle a pu s’adresser au Président de la République, qui l’a félicitée.

Une salariée effectue des points de soudure minutieux pour le capteur d'air d’un respirateur artificiel.
Une salariée effectue des points de soudure minutieux pour le capteur d’air d’un respirateur artificiel © Hervé Thouroude

Comment envisagez-vous l’avenir pour Tech’Air ?

Nous continuons à recruter et à former. Et ce qui reste très important pour nous en termes de message, c’est qu’on ne vend pas du handicap : nous sommes une entreprise qui vend des produits de qualité, et nous sommes un acteur majeur en matière de fabrication de dispositifs médicaux. En parallèle, nous conservons bien sûr notre mission sociale et notre rôle d’accompagnement en tant qu’ESAT et EA. On reste différent et c’est tout l’intérêt de ces structures.

Concernant la suite, nous allons voir comment évolue la crise sanitaire. Professionnellement, nous sommes prêts et ne savons comment faire. Pour aller plus loin, nous allons continuer la professionnalisation, la mécanisation et l’automatisation des gestes qui peuvent l’être, le développement de nouvelles salles blanches, et nous venons d’obtenir un premier fonds de la région Île-de-France pour y parvenir. Nous resterons toujours sur des petites séries. Nous pouvons produire un million de tests Covid par mois, mais pas 5 millions. Et il y a certains gestes qui ne peuvent pas être réalisés par des machines, notamment sur du matériel médical qui demande d’être minutieux.

En photo principale : Henri-Aurélien Chopinaud, directeur du Tech’Air © Hervé Thouroude

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