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Loi sur le handicap et l’accessibilité : Interview de Marie-Anne Montchamp

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Loi sur le handicap et l’accessibilité – Loi de 2005 : La parole à Marie-Anne Montchamp : « Il faut que nos usages changent pour rendre le droit effectif »

À l’occasion du 15e anniversaire de la loi du 11 février 2005, loi sur le handicap et l’accessibilité, nous avons posé nos questions à Marie-Anne Montchamp, qui a porté ce texte et qui est aujourd’hui présidente de la CNSA.

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Je suis présidente du Conseil de la CNSA – Caisse Nationale de la Solidarité pour l’Autonomie. En 2005, alors que j’étais secrétaire d’État en charge des personnes handicapées, j’ai fait adopter la loi handicap du 11 février 2005. J’ai retrouvé ensuite la politique du handicap lorsque je suis revenue au Gouvernement, en 2010, en tant que secrétaire d’État auprès de la ministre des Solidarités et de la Cohésion sociale, avec politique de l’âge et politique du handicap.

La loi du 11 février 2005 a fêté cette année son quinzième anniversaire. Selon vous, quelles sont grandes avancées qui ont résulté de ce texte ?

La loi de 2005 est une loi qui a été construite avec les associations et avec les parties prenantes. C’est une méthode extrêmement particulière à laquelle je tiens beaucoup. Cela consiste à ne pas proposer au vote un produit d’une administration, mais de proposer à l’administration de retraduire les orientations et attentes des associations. Et le président Chirac y tenait particulièrement. C’est pour cela que, quand on m’a demandé de faire aboutir ce texte, j’ai mis au point une méthode qui consistait à nourrir le texte des propositions et arbitrages des associations dans un climat de consensus. C’est ce qui fait que nous avons pu mettre au point un texte qui traite de nombreux aspects de la vie des personnes handicapées.
Sur les avancées de la loi, il y a des éléments de principe qui sont aujourd’hui toujours à l’œuvre. Le premier de ces principes est d’assurer la pleine et entière citoyenneté des personnes en situation de handicap. Ce que l’on oublie parfois dans nos politiques publiques c’est qu’elles veulent, avant tout, pouvoir être prises en compte à leur juste place et en fonction de leurs choix et aspirations. Cela, la loi du 11 février 2005 le pose comme un principe intangible. Elle dispose que chaque personne a le droit d’avoir un projet de vie. Ce qui signifie pouvoir faire des choix et que ceux-ci soient respectés. C’est l’élément socle de cette loi.

Parmi les autres éléments structurants de la loi sur le handicap et l’accessibilité du 11 février 2005, il y a également la définition du handicap énoncée dans le texte. Elle est très importante car elle reconnaît que l’environnement dans lequel vit la personne est responsable de sa situation de handicap. S’il n’y a pas de rampe d’accès, la personne ne peut pas entrer. S’il n’y a pas de Facile à lire et à comprendre (FALC), la personne avec déficience intellectuelle ne peut pas comprendre les textes qu’on lui propose. S’il n’y a pas de boucle magnétique, la personne ne peut pas communiquer. S’il n’y a pas de signalétique en braille, il n’y a pas de possibilité pour la personne aveugle de comprendre. S’il n’y a pas d’environnement bienveillant, la personne ayant des dys ou des troubles psychiques, ne peut pas vivre pleinement sa vie de citoyen.
Cette définition du handicap, qui accorde de l’importance au poids de l’environnement sur la personne en situation de handicap, est déterminante.

D’autre part, cette loi reconnaît toutes les diversités des situations de handicap. Car jusqu’en 2005, on avait tendance à penser surtout aux personnes en fauteuil roulant, à celles ayant un retard intellectuel ou des troubles sensoriels. Mais l’autisme n’avait pas sa place, tout comme les troubles psychiques et les troubles dys. C’était une injustice absolue de ne pas donner de reconnaissance à ces personnes et cela a été réparé par ce texte.
Ce texte a été façonné par les associations. Si elles n’étaient pas intervenues, nous n’aurions pas abouti à la loi de 2005. C’est leur loi.

Selon vous quel a été l’impact de cette loi sur le handicap et l’accessibilité dans la pratique ?

L’impact a été ressenti à l’école, parce que l’enfant handicapé a été scolarisé à l’école du quartier. Nous l’avons vu aussi dans le domaine de l’emploi, où il y a eu des améliorations. Nous l’avons constaté à travers la mise en place généralisée du sous-titrage et de l’audiodescription ; dans l’accessibilité du cadre bâti…

Vous me direz, oui, cependant, le compte n’y est pas. En effet. C’est aussi là qu’on se rend compte que l’on peut faire une loi extrêmement volontariste, dans un très grand consensus… et en même temps ne pas embarquer toute la nation. C’est pour cela que ces politiques, qui sont là pour faire face aux fragilités de certains de nos concitoyens, ont également besoin de la parole du Président de la République, parce que dans nos institutions, par le fait du suffrage universel, c’est lui qui garantit le contrat social. C’est lui qui est le garant de la cohésion de la nation et qui doit l’embarquer dans une véritable stratégie de progrès.
Par exemple, si le commerçant fait semblant de ne pas comprendre qu’il peut avoir un client handicapé, il fait obstacle à la loi sur le handicap et l’accessibilité de 2005, alors que s’il le prend en compte il la fait réussir. L’enseignant qui fait bouger sa pédagogie parce que, dans la classe il y a un AESH et un enfant avec autisme, il rend la loi de 2005 opératoire.

Nous sommes maintenant devant la question de la responsabilité partagée de tout le corps social. Et c’est cela qui permettra de faire que la loi soit pleinement effective. Il est très important que chaque gouvernement comprenne, sur la politique du handicap, qu’on ne peut pas faire d’idéologie et que nous sommes chacun de modestes maillons d’une chaîne qui construit l’effectivité des droits.

L’application de la loi de 2005 n’a pas très bien fonctionné sur le plan de la mise en accessibilité. Comment peut-on l’expliquer selon vous ?

Il y a plusieurs sujets. Il y a des sujets d’investissement. On peut prendre l’exemple du métro, qui va intéresser les Jeux olympiques. Il est vrai qu’aujourd’hui nous n’avons pas su dégager le niveau d’investissement pour aménager les infrastructures. Après, comme le disait très bien Julien Denormandie lors de la CNH, il y a aussi des questions d’usage. Parfois il faut que nos usages changent pour rendre le droit effectif. Dans ce sens, si la manière d’habiter des logements se transforme, alors, l’accueil de personnes en situation de handicap sera plus simple. Ainsi, si l’on continue de vouloir des baignoires, nous ne pourrons pas proposer à des personnes en fauteuil roulant d’habiter le logement. Si nous continuons à mettre des gaines électriques dans les planchers, partout, et dans les cloisons, nous ne pourrons pas faire bouger les cloisons d’un appartement pour faire évoluer l’espace.

Ensuite il y a aussi des questions de culture et de responsabilité sociétale. On ne peut pas se contrefiche du fait que la société française vieillit et que certains de nos concitoyens sont en situation de handicap. On ne peut pas sélectionner sa clientèle ou ses salariés en disant : « Désolé, ça ne m’arrange pas, ça me coûte cher ». Nous devons être en capacité d’accueillir des hommes et des femmes, avec ou sans handicap, tous handicaps confondus, dans les lieux publics, les lieux de travail et les lieux de loisirs. Et cela nécessite que chacun fasse un bout du chemin. C’est pour cela qu’Emmanuel Macron a appelé à une forme de sursaut collectif dont le succès est cette mobilisation générale encouragée par le slogan de la CNH : « Tous concernés, tous mobilisés ».

Le fonctionnement des MDPH fait l’objet de critiques, notamment concernant les délais de traitement des dossiers. Comment peut-on expliquer ces difficultés et y remédier ?

Je pense déjà qu’il faut reconnaître l’importance de la naissance des Maisons Départementales des personnes handicapées (MDPH). Parce que lorsque l’on doit faire reconnaître son handicap, c’est bien de savoir que cela se passe quelque part, et pas dans de nombreux endroits différents.

Ensuite, il est vrai que le nombre de dossiers traités par les MDPH est devenu exponentiel. De même que leur organisation n’a pas été optimale, que la part du traitement administratif a pris le dessus sur la part de l’accompagnement et que, sans doute, il faut aujourd’hui réformer profondément ces institutions. Mais il faut le faire en écoutant les personnes. On ne peut pas les réformer dans une approche technocratique qui ferait fi du ressenti et de l’usage des personnes. C’est pour cela qu’il était intéressant qu’Emmanuel Macron parle des Maisons de service public. Celles-ci ne doivent pas se substituer aux MDPH, mais permettre leur prolongement, et peut-être leur désenclavement.

Ce qui est sûr, c’est qu’en investissant sur les systèmes d’information, et peut-être demain sur l’intelligence artificielle dans le traitement des dossiers, nous aurons la possibilité d’améliorer énormément les temps de traitement et de rendre un service d’accompagnement réel aux personnes.

Aujourd’hui la Prestation de compensation du handicap couvre-t-elle suffisamment les besoins de personnes handicapées ?

C’est un sujet auquel les associations sont très attachées. Le dynamisme budgétaire de la PCH s’est évidemment restreint. Je pense que nous devons sereinement rouvrir ce dossier qui nécessite sans doute des moyens supplémentaires. Déjà, des moyens vont être apportés dans le cadre de l’aide à la parentalité, qui va venir compléter l’offre de la PCH. De la même manière, tout ce qui va être un élargissement au fond de l’aide à domicile.
Maintenant je pense qu’il faut que nous fassions un véritable travail de calibrage des besoins de financement, en partenariat avec les associations et dans la limite des capacités des finances publiques. Il faut aussi que les départements soient embarqués dans cette réflexion, puisque ce sont eux qui financent cette large part de la PCH. Du coup, je crois beaucoup au dialogue, à cette logique de partenariat et de réunion des parties prenantes que je porte au sein de la CNSA, pour que nous arrivions à sortir de ces contraintes, qui sont réelles et complexes. D’autant plus que la politique de l’âge nous rattrape et que demain il va nous falloir traiter le dossier du vieillissement de la population française.

La journée fériée travaillée pour financer la CNSA n’est apparemment plus suffisante. Quelles pistes pourraient être explorées pour trouver de nouveaux financements ?  

Ce qui est sûr c’est qu’il nous faut oser sortir du cadre, aborder le problème de manière extrêmement innovante et pas dans le cadre habituel et un peu archaïque du financement de nos politiques pour l’autonomie. Nous devons trouver des effets leviers supplémentaires, en respectant l’importance de la solidarité nationale dans les financements.

Si vous pouviez faire des propositions pour améliorer la vie des personnes en situation de handicap quelles seraient-elles ?

Pour moi, la solution de l’amélioration de la vie de la personne, c’est la prise en compte de ses aspirations. Seules les personnes peuvent nous dire si la mesure que l’on a prise, les réponses ou les financements que l’on a apportés, leur conviennent. Il ne peut pas y avoir de bonne politique du handicap sans que les associations et les personnes ne soient étroitement associées.
Après je pense que nous avons quelques combats énormes à conduire, comme celui de l’accessibilité, de l’école, de la citoyenneté, et contre les discriminations qui touchent beaucoup les personnes en situation de handicap psychique que l’on oublie trop souvent – et qui subissent des discriminations insupportables au 21e siècle.

Pour en savoir plus sur la CNSA et la loi sur le handicap et l’accessibilité de 2005 : https://www.cnsa.fr/

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