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Loi Pénicaud : Le regard de Hervé Allart de Hees sur la Loi Travail

Travail et handicap : Hervé Allart de Hees décrypte la loi Pénicaud et son volet handicap
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Réforme de l’emploi et handicap : Hervé Allart de Hees décrypte la loi Pénicaud et ses possibles impacts

Dans le cadre de la loi travail Pénicaud – qui réforme en grande partie l’organisation des politiques handicap développée par les entreprises et les acteurs de l’emploi – mais aussi parce que le réseau Cap emploi va semble t-il passer sous la gestion de Pôle Emploi, tout comme l’offre de service de l’Agefiph et du Fiphfp qui semblent condamnées, nous avons donné la parole à Hervé Allart, dirigeant du cabinet d’architecture Delta Process et créateur de l’offre de services TADEO ACCCEO, destinée à permettre la communication entre les personnes sourdes et malentendantes et le mode du travail ordinaire.

Quel est votre point de vue sur la réforme engendrée par la loi Pénicaud ? Cette réforme est-elle pertinente ?
Oui, une réforme est pertinente et indispensable. Je fais partie d’un petit groupe de personnes, dont j’ai pris l’initiative de la création, et qui a, lors de la mandature de François Hollande et notamment de la loi Travail El Khomri, fait remarquer à ce gouvernement que la loi travail ne comportait pas de volet handicap. À croire que le handicap n’avait pas de lien avec le travail… Un peu avant l’élection présidentielle nous avons donc proposé un projet de réforme que nous considérions comme nécessaire et urgent, notamment pour le secteur public. Le modèle en place n’était par nature pas pérenne dans le temps. La baisse des ressources corollaire à la hausse du taux d’emploi allait créer un effet ciseaux inévitable et donc une chute du système, notamment pour le financement du maintien dans l’emploi. Une réforme certes inévitable, mais qui ne tient pas compte des hommes et des femmes qui sont au cœur du dispositif. En effet, cela fait deux ans que ça dure et on ne sait toujours pas où on va aujourd’hui, ni avec qui, ni comment, ni pourquoi, que ce soit pour les acteurs de l’accompagnement, de l’accès ou du maintien dans l’emploi et surtout pour les personnes handicapées. La méthode est donc tout à fait discutable et particulièrement inadaptée.

Quels seraient les points faibles de cette méthode ? 
Le premier, c’est la transformation fondamentale du modèle qui est violente et radicale alors que cela méritait un accompagnement dans le temps. Nous savions ce qui fonctionnait et ce qui ne fonctionnait pas. Nous aurions déjà pu corriger les principaux défauts et ensuite travailler dans le temps sur une modification de la structure du modèle. En second, cette réforme ne garantit aucunement la réduction du nombre de demandeurs d’emploi, sujet pourtant essentiel. Le gouvernement ne s’engage pas sur des chiffres alors que de leur côté les employeurs devront s’engager sur un dispositif qu’ils n’auront pas décidé. Le point fort, c’est qu’enfin on s’est interrogé sur le sujet alors que cela fait 10 ou 15 ans que l’on sait que nous nous dirigions vers une impasse.

La réforme voulue par la loi Pénicaud repose en grande partie sur la notion d’emploi direct, est-ce que c’est pertinent d’après vous ?
Oui, c’est pertinent et logique, la notion d’unité bénéficiaire était assez abstraite et compliquée. Par contre que le calcul du taux d’emploi ne repose que sur l’emploi direct n’est à mon sens pas pertinent. L’appel au secteur protégé et adapté doit être maintenu pour le calcul du taux d’emploi même si le modèle existant doit être totalement revu et simplifié. On parle d’emploi direct mais on n’évoque pas l’harmonisation du calcul du taux entre les secteurs publics et privés. Aujourd’hui encore le gouvernement comme l’administration comparent en permanence les taux des deux secteurs tout en sachant pertinemment qu’ils ne peuvent pas être comparés puisque la méthode de calcul n’est pas du tout la même. L’emploi direct est donc pertinent si l’ensemble des employeurs publics et privés sont soumis strictement aux mêmes règles.   

La loi Pénicaud prévoit que la collecte des fonds issus de l’obligation d’emploi se fasse à l’avenir par l’Urssaf. Cela représente-t-il un inconvénient ?
Sous couvert de la simplification, c’est au final une nationalisation, tout simplement. Une fois que les fonds sont collectés par l’Urssaf, même s’ils sont fléchés, quelles seront les possibilités pour ceux qui financent – c’est-à-dire les employeurs – d’avoir réellement la main sur les stratégies qu’ils considèrent comme étant utiles pour mener une politique d’emploi des personnes handicapées ? Pour les partenaires ce n’est pas encourageant de se voir fermer la porte à toute participation sur ces sujets. Si une simplification de la déclaration d’emploi des travailleurs handicapés via la Déclaration Sociale Nominative représente une forme d’avancée, qui sera à vérifier, nous n’avons pas encore identifié comment les politiques d’emploi des personnes handicapées seront définies, menées et financées. Le résultat, c’est que les partenaires seront de moins en moins concernés et c’est donc l’État ou l’Administration qui vont faire, et là, je ne suis pas certain de la pertinence des choix qui seront faits. L’autre aspect qui interroge, c’est que par le passé chacun des secteurs privé et public avait ses propres ressources, ce qui ne sera plus le cas.

Le DGEFP préconise dans un document de travail que tous les fonds qui permettent à l’Agefiph et au Fiphfp de fonctionner soient réorientés vers Pôle Emploi via l’Urssaf. Cela représente t-il un risque pour l’emploi des personnes handicapées?
Le risque existe bien évidemment à partir du moment où ces fonds ne seront plus sanctuarisés comme c’était le cas jusqu’à présent, même si l’Etat se permettait malgré tout des prélèvements tout à fait discutables. Il y a un réel risque de fongibilité avec d’autres budgets, voire d’orientation vers d’autres besoins. Mais je pense que la vraie difficulté sera l’efficacité de cette évolution de l’organisation. Les PME ont besoin de décisions rapides et de financements réactifs pour recruter, rien ne démontre que ce sera le cas dans ce contexte, avec un paysage totalement transformé et sans repère. Aujourd’hui ce n’est déjà pas toujours simple pour une PME d’embaucher un travailleur handicapé avec un modèle où les repères sont connus. Or pour recruter quelqu’un, ce qui compte, c’est la rapidité d’action. Les accords d’entreprises étaient caractéristiques d’une efficacité totale car l’entreprise avait à la fois la main sur la décision et sur le financement. Si nous avons à l’avenir un modèle capable de faire les choses aussi rapidement dans tous les cas de figure, pas de problème, mais je doute que ce soit le cas.

Dans ce même document la DGEFP préconise un rapprochement du réseau Cap emploi avec Pôle Emploi et une potentielle disparition de l’Agefiph, qu’en pensez-vous ?
En l’état, je trouve cela obscure et peu adapté car trop brutal. Il y a beaucoup d’hommes et de femmes, handicapés ou non, qui vont souffrir d’une situation dont personne ne peut dire ce qu’elle va produire. Nous avions un système qui fonctionnait, certes avec ses imperfections, mais on savait le faire fonctionner et surtout l’améliorer. Là nous nous engageons à faire un saut dans le vide et on n’est pas sûrs que le parachute veuille s’ouvrir.

Que pensez-vous de la réforme des accords agréés ?
Penser qu’au bout de deux accords l’entreprise va poursuivre sa politique handicap sur la seule motivation citoyenne et les valeurs humaines, je n’y crois pas du tout. Cela me donne l’impression que l’on ne vit pas dans le même monde. Les responsables de missions handicap font depuis de très nombreuses années un travail de fond remarquable, même si encore une fois tout est perfectible. Donc croire que ce qui n’a pas pu se faire avec 4, 5 ou 8 accords pourra se faire en deux accords est totalement irréaliste. Si les entreprises ont malgré tout bien évolué dans ce domaine, c’est grâce au travail de sensibilisation et d’évangélisation permanent des collaborateurs des missions handicap. Nous ne sommes pas encore dans une société capable de fonctionner avec de simples coups de pouces. Il faut être lucide et savoir mettre les moyens quand c’est nécessaire et sur le temps. Beaucoup d’entreprises ont du mal à faire progresser leur obligation d’emploi même en bénéficiant de l’accompagnement soutenu de leur propre mission handicap, alors sans elles qu’est-ce que ce serait ?! C’est un combat permanent pour faire progresser les choses dans ce domaine. L’emploi des personnes handicapées n’est pas encore un réflexe et cette réforme aurait dû en premier lieu se pencher sur cet aspect, créer les conditions du réflexe. Rendre obligatoire la publication des scores de placements de personnes handicapées pour tous les acteurs de l’accès à l’emploi serait sans aucun doute un moyen pertinent de sensibilisation. C’est une obligation facile à mettre en œuvre, elle permet de créer les conditions du réflexe et ne coûte pas un centime… Elle mobiliserait par nature beaucoup de monde et ferait de ce sujet un sujet du quotidien et pas uniquement une préoccupation lors de la semaine pour l’emploi des personnes handicapées ou des Duo Day. La création des conditions du réflexe aurait dû être le fil conducteur de ce volet de la loi Pénicaud.

Que pensez-vous de la réforme du Secteur Protégé et Adapté ?
Si la question est, qu’est-ce que je pense de la suppression de l’impact des achats sur le taux d’emploi au profit du seul emploi direct, je dirais, qu’a priori et en théorie c’est une démarche plutôt saine. Pour la pratique c’est une toute autre histoire car pour mobiliser une direction des achats il faut des scores. Or, la déductibilité, qui n’est pas encore très claire aujourd’hui, n’est en aucun cas suffisante à mon sens. Motiver une direction des achats avec une simple déductibilité me semble inadapté, d’autant qu’il n’y aura plus d’équipe dédiée à cette sensibilisation. Jusqu’à présent, les conditions du réflexe ne sont assurées que par l’existence d’une équipe dédiée à une sensibilisation permanente. Cette évolution du modèle est, de plus, en totale contradiction avec la création des 40 000 postes du secteur adapté. On passe de 32 000 postes existants à 72 000 postes à la clé, je ne connais pas beaucoup de secteurs traditionnels affichant de telles perspectives de croissance et donc en capacité actuellement de s’engager à doubler ses effectifs… Si on ajoute la simple déductibilité, pour le calcul du taux d’emploi, et la disparition des équipes dédiées à la sensibilisation dans les entreprises, on complique de fait l’éventuelle atteinte de l’objectif.    

Qu’est-ce qui peut justifier une réforme aussi rapide et d’une telle ampleur que celle instaurée par la loi Pénicaud ?
Pour moi le bon sens aurait dicté de ne pas faire ça comme ça. Il y a trop de risques, je ne vois aucun bénéfice pour les personnes handicapées et je mesure avantages et inconvénients. Depuis deux ans nous sommes dans l’incertitude et avons par conséquent perdu nos repères habituels et, de fait, nous régressons car plutôt que d’avoir le pied sur l’accélérateur, au mieux, on laisse faire le régulateur. Depuis le lancement de la réforme son point le plus négatif est la durée, c’est la pire des situations.

Qu’est-ce que cela pourrait donner dans 4 à 5 ans ?
Non seulement les scores ne vont pas s’améliorer, mais je pense même qu’il y a un réel risque qu’ils se dégradent. La capacité à évoluer a été très lente en plus de 30 ans mais celle à perdre cette dynamique peut être très rapide. Ensuite, reconquérir ce qui est perdu sera très compliqué. J’espère me tromper. Il y a un point fondamental que la loi Pénicaud n’aborde pas à ce jour, et pour autant également essentiel pour ne pas reproduire le passé, c’est : Qui, et avec quels moyens, pilotera et contrôlera l’efficacité du nouveau dispositif pour proposer en temps réel les ajustements nécessaires ? Et il y en aura.   

Pour en savoir plus sur le contenu de la loi Pénicaud : https://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/leaflet-_for_pro_3_.pdf    

En photo : Hervé Allart de Hees décrypte la loi Pénicaud

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