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L'inclusion à l'italienne

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Donata Vivanti Pagetti est née à Milan en 1948. Mère de quatre enfants, dont deux souffrant d’autisme sévère et docteur en médecine, elle a mis fin à sa carrière en 1993 pour consacrer sa vie à la défense des droits des autistes au niveau national et international, travaillant à plein temps comme volontaire dans le milieu associatif. Entre autres fonctions, elle occupe le siège de Vice-Présidente de l’EDF depuis 2005 et a présidé Autisme Europe de 2000 à 2007 ainsi que la Fédération italienne pour vaincre le handicap (CFISH).

 

Elle a aussi été responsable de plusieurs projets européens et participé en tant qu’expert au projet “Insertion dans la société”. Elle est un de smembres fondateurs de l’European Coalition for Community Living. Nous l’avons rencontré à l’occasion du dernier Forum qui s’est tenu à Bruxelles, en décembre dernier.

 

Pouvez-vous nous dresser un tableau global de la situation des personnes handicapées en Italie ?

L’Italie est le théâtre de nombreuses contradictions en ce qui concerne le handicap. En effet, on considère souvent que c’est un pays très inclusif, ce qui est vrai sous un certain angle. Nos enfants sont tous scolarisés en milieu ordinaire, mais il reste beaucoup à faire car il n’est pas vraiment souhaitable que l’école accueille des enfants handicapés sans accepter de changer elle-même. L’éducation inclusive n’est donc pas aussi efficace qu’elle pourrait l’être. D’autant plus que les parents d’enfants lourdement handicapés rencontrent des difficultés dans le cadre de l’école ordinaire. Nous sommes donc convaincus qu’il faut continuer et améliorer le système. En revanche, l’inclusion scolaire est très formatrice pour le grand public et favorise l’acceptation des personnes handicapées car, si nos enfants n’apprennent pas beaucoup à l’école, ils enseignent beaucoup aux autres. C’est le côté très positif des choses.

En ce qui concerne le handicap mental, on connaît bien le processus de désinstitutionalisation des personnes handicapées mentales qui a eu lieu dans les années 70, mais il faut savoir que si elles ne sont plus internées, sauf pour de courtes périodes, beaucoup vivent néanmoins dans des institutions pour personnes handicapées.

L’inclusion à l’italienne a donc, sinon réussi, eu des résultats positifs en ce qui concerne l’enfance. Mais elle a complètement échoué en ce qui concerne les adultes et le Conseil de l’Europe pourrait reprocher à l’Italie de ne pas avoir accompli son devoir par rapport aux articles 15 à 17 de la Charte sociale en ce qui concerne l’éducation tout au long de la vie et l’insertion dans le monde du travail. Dans ce domaine en effet, l’Italie ne fait pas son devoir, ne serait-ce que du point de vue législatif et les personnes handicapées ont de très grandes difficultés à avoir accès au marché du travail, ainsi qu’au milieu protégé.

 

Justement, existe-t-il une législation nationale en faveur de l’insertion professionnelle des personnes handicapées ? Y a-t-il des aides pour les entreprises qui embauchent ou des mesures d’accompagnement des travailleurs handicapés ?

 

Ces aides existent, mais elles sont de peu d’importance. Récemment, une modification de la loi a prévu des aides pour que les personnes handicapées soient intégrées sur le marché du travail – et pas forcément dans des ateliers protégés. Le gouvernement a prétendu que cette loi ne donnait pas de résultats et une véritable marche arrière a ainsi été engagée, conduisant plutôt vers un cadre d’environnement protégé. Je ne pense pas que tout le monde puisse entrer sur le marché du travail, mais il faudrait quand même chercher à pousser un peu plus car les ateliers protégés peuvent entrer dans un cadre de préparation au travail et de nombreuses personnes ont besoin de passer par les ateliers protégés pour arriver sur le marché du travail. A mon avis, ce devrait être l’objectif visé, hélas ce n’est pas ce que prévoit la loi et c’est très dommage. La loi avait aussi organisé des agences d’emploi pour personnes handicapées, mais cela n’a pas bien fonctionné car la plupart des personnes handicapées sont encore au chômage.

 

Existe-t-il des obligations particulières pour les entreprises ?

Les entreprises ont l’obligation d’embaucher des personnes handicapées, mais les pénalités encourues en cas de non-embauche sont tellement ridicules qu’elles préfèrent payer que d’embaucher. Il vaudrait mieux donner des subventions. Les pénalités sont dissuasives si elles sont élevées, en particulier en cette période de crise. On est en train d’assister à de nombreuses dérogations par rapport aux lois sur l’emploi. Ainsi, la compagnie aérienne Alitalia a licencié toutes les personnes handicapées embauchées durant l’administration précédente et le gouvernement n’a pas réagi. Il a même entériné cette dérogation et maintenant, c’est comme cela que ca marche. Les perspectives ne sont donc pas très enthousiasmantes.

 

En ce qui concerne la mobilité, en ville et au niveau interrégional, y a-t-il des lois sur la mise en accessibilité des transports ?

 

Oui, il existe bien quelque chose mais rien de satisfaisant car c’est toujours l’exception à la règle qui prime. Dans les trains, par exemple, on trouve bien une place réservée en première classe, mais seulement sur quelques lignes… En ce qui concerne les déplacements quotidiens de type ville à ville, il n’existe pas de train accessible. Il en est de même pour les transports publics dans les villes où il y a, de temps en temps, un bus adapté. La personne handicapée qui devra attendre « ce » bus, mais là où la situation est décourageante, c’est que bien souvent les plateformes ne fonctionnent pas… De ce fait, les bus adaptés sont peu utilisés et la situation est complètement insatisfaisante pour les personnes handicapées.

Au niveau de l’environnement urbain, il perdure de grandes différences entre les villes. J’étais récemment à Bologne et j’ai constaté que tous les bus sont adaptés ainsi que nombre de bâtiments. Mais, dans les villes du sud, c’est un véritable désastre ! En Italie, la mise en accessibilité est compliquée par la multiplicité des monuments historiques… mais c’est plus souvent une excuse pour ne rien faire qu’une réalité !

 

Existe-t-il des organisations de personnes handicapées ? Arrivent-elles à se faire entendre et à défendre leurs droits ?

La situation est un peu compliquée car il existait un réseau associatif qui date de la fin de la 2e guerre. Absolument pas démocratique, il fournissait des services subventionnés par l’Etat, il assistait les personnes handicapées dans leurs démarches pour obtenir leur pension… Cela ne correspond pas à notre manière de voir les choses. Un deuxième réseau s’est constitué dans les années 70-80. C’est notre Fédération de personnes handicapées qui rassemble presque tous les organismes en lien avec le handicap ainsi que les organisations agissant au niveau régional. Bien qu’ils soient trop différents pour fusionner, les deux réseaux ont récemment collaboré pour négocier sur la base de positions communes et organiser des manifestations communes contre le gouvernement pour l’amélioration des droits des personnes handicapées.

Différents membres des associations spécifiques sont également engagés dans le CA de la Fédération Nationale. Nous somme en effet bien convaincus qu’il faut se coordonner et résoudre les problèmes de manière collective au sein du réseau. En Italie, la culture associative n’est pas la même qu’au Royaume-Uni, par exemple. Nous n’avons pas la sensibilité des pays anglophones chez qui c’est une vraie tradition. Chez nous, c’est toujours une minorité parmi les personnes handicapées et leurs parents qui s’engagent ainsi. Les plus grosses associations restent celles qui offrent des services, les autres sont minoritaires par rapport à la population qu’elles représentent. Du coup, il est un peu difficile de faire bouger les gens pour leurs droits. Ils veulent des réponses immédiates et comprennent mal que cela puisse être long et demander de véritables luttes.

 

Quelle est la place des autistes dans cette société ? C’est un handicap encore plus difficile à cerner que le handicap moteur ou sensoriel…

Membre de la Fédération des personnes handicapées, nous avons aussi créé une fédération avec une ancienne association de parents qui défend plutôt les droits des parents et une association qui rassemble des personnes porteuses du syndrome d’Asperger. Nous avons commencé à travailler ensemble depuis un an et demi et comme cela fonctionne très bien, nous allons continuer. Il sera sans doute possible, quand le monde du handicap sera bien structuré, de n’avoir qu’une seule association. Nous parlons cependant déjà d’une seule voix même si nous ne nous sentons pas très écoutés et que certaines familles n’aiment pas beaucoup parler du handicap par crainte de donner une image négative des personnes handicapées… Ces gens voudraient se présenter, ou présenter leurs enfants, comme des personnes capables mais je crois que la plupart des autistes en Italie ne sont pas des personnes « capables », parce qu’elles n’ont pas été rendues capables ! Nous souffrons d’un retard terrible dans la prise en charge adaptée. On a créé une population de personnes dépendantes qui ne l’auraient sans doute pas été si elles avaient bénéficié de la bonne prise en charge. Il ne faut jamais avoir honte du handicap, quelle que soit sa gravité mais au contraire, souligner que le handicap peut conduire à la dépendance du fait du manque de dispositifs environnementaux ou administratifs pour les aider à devenir des personnes indépendantes.
Nous devons travailler sans préjuger de qui pourra, ou ne pourra pas, être indépendant. Il faut donner sa chance à chacun car il a des possibilités infinies de développement. La vie seule dira si un enfant est perdu et il est impossible de dire qu’il ne se développera pas.

 

De votre position européenne, comment voyez-vous la situation des personnes handicapées en Europe ? Constatez-vous une évolution de la situation ou, au contraire, une forme de régression ?

Lorsqu’on est personnellement impliqué, on trouve que la situation évolue très lentement et parfois, on se décourage. On a le sentiment de faire un pas en avant pour deux en arrière et je dois avouer que j’ai été plutôt déçue du fait que la directive pour le handicap ait été transformée en directive transversale. Je crains que tous les états membres ne soient pas prêts pour cela. Est-ce de la mauvaise foi de leur part ? Je ne le sais pas mais j’ai le sentiment qu’il s’agit là d’un escamotage pour mettre fin à la directive. En Italie, on dit souvent qu’on « a toujours raison quand on pense mal (rires) et j’espère me tromper en disant que tout cela va se terminer par pas de directive du tout… La crise économique a encore aggravé les choses et amené la Commission à beaucoup plus de prudence. Je n’affirme pas qu’on régresse mais je suis inquiète parce que l’Union européenne semble de plus en plus sur la défensive par rapport au handicap. Il va bientôt y avoir un nouveau Parlement et une nouvelle Commission mais nous serons toujours là pour essayer d’améliorer les choses. J’ai aussi le sentiment que l’Europe dérape à Droite, ce qui ne veut pas forcément dire que ce sera négatif pour les personnes handicapées. Mais il va falloir trouver d’autres stratégies, il faudra toujours convaincre que cela vaut la peine d’investir sur les personnes handicapées. On ne veut ni pitié ni subvention à fonds perdus, juste un investissement sur les possibilités des personnes handicapées. Etre indépendant, c’est aussi demander moins d’argent et individualiser les aides à la personne, c’est investir sur sa productivité future.

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