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L'envers du miroir

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[LES TRIBULATIONS DE DORINE] La télévision fascine les jeunes et nombre d’entre eux feraient n’importe quoi pour avoir leur quart d’heure de célébrité. Mon parcours atypique ne manqua pas d’attirer les médias. Depuis plus de 15 ans j’accepte de donner mon témoignage et d’exposer des parcelles de ma vie dans des émissions de grande écoute pour sensibiliser le grand public à notre cause. Pourtant, derrière la convoitise se cache parfois des intérêts fort tendancieux. À de nombreuses reprises, je me suis vue servir la cause des journalistes à la défaveur de mon message, au détriment de mon image. Sans armure, je me suis sentie mise à mal et j’en ai souffert. Mais cette expérience m’a aussi aidée à prendre du recul sur mon vécu et d’en ressortir finalement grandie. Petites anecdotes croustillantes.


Je suis contactée par l’équipe d’une célèbre émission présentée par un animateur charismatique malheureusement décédé. Le thème annoncé pour le prochain numéro : « Être épanouie avec son handicap ». J’ai beau expliquer à la journaliste que le sujet ne reflète pas ma réalité, elle tient à prendre mon témoignage. Je me laisse convaincre dans l’espoir qu’on fera quelque chose de bien… L’équipe de tournage arrive à la maison. On commence l’interview. La demoiselle veut absolument me faire avouer que je suis une paraplégique épanouie. Ce qui est faux. Être condamnée à vivre assise avec toutes les contraintes que cela imposent, n’a rien d’éclatant !Sa technique va consister à me poser sa question de manière habile et nuancée plusieurs fois de suite… tout en enchaînant avec la réponse qu’elle attend de moi. Machinalement, je finis par répéter sa phrase. Le mot est lâché ! Je peste contre moi-même lorsque j’en-tends le commentaire.

 

Une autre fois, je suis invitée à un direct sur le plateau d’une présentatrice très blonde qui accompagne nos matinées sur une chaîne du service public. Une nouvelle fois ma naïveté me joue des tours. À peine a-t-elle terminé son introduction qu’en substance elle me lance tout en repositionnant sa mèche décolorée  « alors quand on est paraplégique, sexuellement ça se passe comment ? » Bien élevée et surtout très intimidée par tout le dispositif mis en place, les caméras braquées sur moi, je me hasarde à lui donner une réponse qui demeure sans intérêt tellement la sexualité est une chose magique qui revêt une multitude de facettes qui ne saurait être dévoilée face à une télé !

Je rentre chez moi blessée, dégoûtée. Je reconnais n’avoir aucune maîtrise des outils de communication, des pièges que l’on me tend et je perds pieds facilement.Un autre direct, en radio cette fois-ci : « Comment faites-vous pipi ? » Souvenez-vous amis paraplégiques la première fois qu’on vous a annoncé que votre vie serait ponctuée d’auto-sondages, n’était-ce pas démoralisant ? Devais-je me rabaisser devant ce journaliste à la côte populaire en lui faisant la description des outils à disposition des para pour effectuer l’ensemble des actes essentiels de la vie ? Mes parents se croyaient aguerris, pourtant eux-aussi se sont laissés duper par l’équipe d’un programme racoleur. Cette fois c’est une grande brune qui nous convie sur son plateau, jolie mais fort antipathique. Je découvre avec horreur le reportage qui est réalisé sur notre famille. Les plans montés en dehors du contexte n’ont plus du tout le même sens et ce qu’ils insinuent est loin de nos intentions. Mon père et moi sommes fil-més à notre insu, quand de fatigue je me mets à pester contre un obstacle : « putain de tuyau, il va me faire casser la gueule ! » Je suis anéantie par l’image qu’on donne de nous.

À la fin de l’enregistrement, ma mère furieuse me lance : « c’est fini tes caméras, on ne my reprendra plus ! » Messages déformés, propos détournés, problèmes amplifiés : nous venions de nous laisser humilier devant 2 millions de téléspectateurs. Tel est le revers de la médiatisation. Les caméras s’immiscent dans les méandres de votre intimité tout en altérant votre intégrité. Il suffit de quelques secondes d’inattention ou de relâchement. La pression est énorme. Je n’y étais pas préparée. Il faut être bien entouré, épaulé, conseillé pour être capable d’utiliser à son bénéfice l’outil de la médiatisation,  qu’on appelle en d’autre terme « le miroir aux alouettes ». 

Au bord de la dépression, je décide de fuir ce qui me fragilise pour me concentrer sur la famille que je rêve de construire, mon foyer, mon refuge.Évidement, j’ai aussi vécu des expériences positives, comme avec Michel Drucker où à plusieurs reprises la parole était vraie, sincère, me permettant d’évoquer ma passion pour l’aviation en prime time… À de multiples occasions il m’a permise de parler librement de la cause des pilotes handicapés pour faire bouger les mentalités, déplacer les lignes, toucher, sensibiliser, émouvoir… Il y a 10 ans, la page est tournée. J’ai donné la vie et j’élève mon enfant. Je me concentre sur des valeurs qui renforcent.

Demain, je continuerai à apporter mon témoignage car c’est mon destin. Mais si la chouchoute du matin  me repose sa question, je lui répondrai avec délice : « Et quand on est blonde, sexuellement ça se passe comment ? ».

 

 

Photo : Dorine sur le plateau de Michel Drucker.

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