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Handicap la formation professionnelle oubliée de la loi

Formation professionnelle Bachir Kerroumi
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La formation professionnelle des personnes handicapées, grande oubliée de la loi

Dans le difficile parcours de l’accès à l’emploi auquel sont confrontées les personnes handicapées, les personnes déficientes visuelles font l’expérience d’une terrible mise à l’écart. Si le handicap n’est pas bien perçu dans la société française, force est de constater que certaines pathologies font resurgir des préjugés très ancrés sur la capacité qu’ont certains individus à se former et à assumer des responsabilités professionnelles. Bachir Kerroumi est chef de mission des études économiques à la Mairie de Paris et docteur es-sciences de gestion, et auteur de nombreux ouvrages tels que « les déficiences du management face au handicap, Editions universitaires européennes, 2011 ». Lui-même déficient visuel, il a été confronté au cours de son parcours étudiant et professionnel aux regards nourris d’idées reçues et partage ici son regard et sa réflexion sur les solutions à apporter pour faire bouger les lignes.

Qu’en est-il de la situation des personnes déficientes visuelles dans le cadre de la formation professionnelle ?
Dès les années 2000, Bachir Kerroumi fait le constat d’un oubli majeur de la loi de 1987, conservée dans la loi de 2005 et de nouveau conservée dans l’actuelle réforme de la loi travail et de la formation : « La loi comporte en effet des chapitres entiers sur la scolarité, l’accessibilité, l’emploi… Mais rien sur la formation ! De fait tous les centres de rééducation professionnels manquent cruellement de moyens pour se moderniser et surtout pour moderniser leurs formations, explique-t-il. Les personnes qui passent par ces centres pour se former en ressortent avec des diplômes et des compétences qui n’ont pas de valeur sur le marché du travail. Le résultat, c’est qu’il se retrouvent ou restent ou chômage. Ce constat je l’ai mis en avant sur le rapport Fardeau en 2000, qui commence à dater. Je l’ai rappelé lors de la rédaction de la loi de 2005 à plusieurs reprises à des personnalités en charge des politiques sur le handicap au niveau de l’Etat mais elles n’ont pas voulu m’écouter. Dix-neuf ans après tout le monde fait le constat de cet oubli législatif comme du manque de moyens des CRP. Lorsque je suis entré comme administrateur au CRP Paul Guinot, j’ai proposé un projet de modernisation des formations car ils avaient un catalogue de formations tertiaire totalement obsolète et tout cela dans les quelques voies professionnelles ouvertes aux personnes déficientes visuelles – qui sont, il faut le dire, très restreintes dans notre schéma économique. Même la formation de kinésithérapie est dépassée car ce métier est de plus en plus technique et digital avec l’utilisation de machines et de logiciels très spécialisés qui ne font pas partie de leur formation. Ce problème du niveau de formation des personnes en situation de handicap existe depuis des décennies et nous faisons toujours le même constat. Dans un certain nombre de pays anglosaxons il existe des passerelles entre ces centres de formations spécialisés et le dispositif de formation de droit commun. Ce qui n’existe pas encore en France. Les centres de formation spécialisés jouent le rôle de structures préparatoires et de centres de ressources pour les structures du milieu ordinaire.

Quel est votre projet pour répondre à cette carence ?
« Fort de ce constat j’ai proposé à la direction du CRP Paul Guinot de lancer une étude pour mesurer l’évolution des métiers tertiaires qui vont de la secrétaire à l’informaticien et qui utilisent l’informatique dans leur pratique. Le but étant de voir quelle est l’évolution du numérique, et comment les métiers se transforment avec le numérique. Ce projet a été accepté et j’ai recruté deux chercheurs au CNAM pour mener l’étude, le financeur qui est la Fédération des aveugles de France apporte 30 000 euros. La première réunion a donc eu lieu la semaine dernière avec des représentants d’entreprises, des représentants des CRP et les chercheurs. Ces derniers ont d’ores et déjà lancé des groupes de travail et des enquêtes terrain auprès des entreprises comme des personnes handicapées, en formation ou en recherche d’emploi.
Le résultat de cette étude doit se transposer en formation, en amélioration des modules de formation et en partenariat avec des entreprises. Parallèlement à cela, j’ai conclu un accord avec une association anglaise qui s’appelle BC AB (British Computer Association for the Blind) qui existe depuis une trentaine d’années et s’est spécialisée dans tout ce qui touche à l’informatique pour les personnes déficientes visuelles. Nous avons mis au point une enquête sur tout ce qui concerne l’évolution des postes de travail, comme des technologies utilisées au cours de cette évolution.
Environ 400 personnes vont répondre à cette enquête et les résultats nous serviront de base pour faire évoluer notre propre système. »

L’objectif est double !
« D’un côté, collecter des informations concrètes pour transformer les choses localement au sein de l’association, et d’un autre côté un objectif plutôt politique qui consiste à faire des propositions au gouvernement afin d’introduire impérativement telle ou telle mesure pour que les personnes handicapées soient formées au même niveau quel les autres car jusqu’à aujourd’hui il y a un problème d’inégalité des droits ».

Quels seront vos interlocuteurs ?
« Ma stratégie est la suivante : rencontrer un député « en marche » qui s’intéresse à l’éducation et à la formation, lui préparer un amendement et le convaincre de défendre cet amendement auprès du Parlement… et de tout faire pour le faire adopter, afin qu’il y ait dans la loi de 2005 un chapitre formation professionnelle d’une part, mais aussi dans le droit commun. Une fois que c’est inscrit au niveau législatif, c’est bien plus simple de faire du lobbying pour faire appliquer la loi au niveau des régions ».

Que pensez-vous de la réforme actuelle de la formation ?
« La réforme actuelle de la formation est positive pour moi car il était temps qu’il y ait du changement dans ce domaine très statique et de plus en plus inefficace. Le constat est simple, sur l’apprentissage, les régions ont échoué. En effet, quand on annonce que 80% des apprentis trouvent un emploi, on oublie de dire que 45% en moyenne abandonnent au cours du parcours de formation. D’autre part, 5% des CFA appartiennent aux branches des entreprises qui font du très bon travail et parallèlement 95% des CFA sont des associations pauvres qui, par manque de moyens, font un travail médiocre. Les régions qui sont sensées les aider font le minimum, soit 30% de leur budget, et pour le reste elles doivent se débrouiller.
D’un autre côté, les OPCA sont devenus des leviers politiques ou des outils de lobby pour les syndicats, il était donc temps de changer quelque chose. Un rapport de la Cour des comptes faisait récemment remarquer que les 34 milliards de la formation professionnelle et continue étaient très loin de produire les résultats que l’on était en droit d’attendre. »

Que sait-on sur les personnes déficientes visuelles en formation ou dans l’emploi ?
« Nous savons qu’il y a seulement entre 10 et 14% de déficients visuels qui travaillent alors qu’en Grande-Bretagne ils sont autour de 37%. Parmi ces personnes, plus de 99% n’évoluent jamais dans l’entreprise quel que soit le niveau de leur poste, du standard à l’ingénieur. Ceci est tout à fait vérifiable. Les entreprises, malgré des efforts dans le recrutement, pensent encore que c’est compliqué de faire évoluer une personne handicapée et voient même encore le recrutement d’une personne handicapée comme un acte de charité. C’est ce que j’ai vécu à titre personnel. Pour ma part, j’ai évolué grâce à la prise d’initiatives, sinon on ne me proposait rien. Parallèlement, si le nombre de chômeurs déficients visuels proactifs est très faible, c’est en grande partie par désillusion car presque toutes leurs initiatives de recherches finissent par un échec ».

Quel est le timing de l’étude ?
« Pour la partie française, nous attendons un premier rendu pour septembre prochain et la version finale serait pour la fin de l’année. Pour partie anglaise, dès le mois d’octobre nous aurons les résultats finaux ».

Recherchez-vous toujours des partenaires ?
« Oui, bien sûr, parce qu’il y a d’autres aspects professionnels sur lesquels nous souhaitons nous lancer – notamment pour les kinés – et affiner les métiers du numérique. L’idée c’est aussi d’inscrire 1, 2 ou 3% du budget annuel de fonctionnement en recherche et développement pour à la fois faire de la veille mais aussi réformer et moderniser des modules de formation. Cela nous permettrait d’être plus performants et de fait plus rentables. J’ai toujours vu les entreprises et les associations rentables fonctionner comme cela et c’est aussi très motivant pour les équipes.

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