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Festival International du Film sur les Handicaps : Témoignages – 2e partie

Priya Ramasubban Festival International du Film sur les Handicaps
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Témoignages des participants du Festival International du Film sur les Handicaps – 2e partie

En attendant la quatrième édition du Festival International du Film sur les Handicaps qui aura lieu du 7 au 12 février 2020 à Lyon, nous vous proposons de découvrir les interviews de participants réalisées par Maureen Mansfield et Alexandre Périchon.

Priya Ramasubban (en photo principale) : réalisatrice du long-métrage « CHUSKIT » documentaire en compétition. Interviewée par Maureen Mansfield pour le Festival International du Film sur les Handicaps.

Parlez-nous de votre carrière de réalisatrice, d’abord de films documentaires, et maintenant de fiction: comment êtes-vous devenue réalisatrice ?
Après mes études, j’ai eu une première expérience professionnelle auprès du célèbre réalisateur de films documentaires Anand Patwardhan, connu également pour ses prises de position. Quand j’ai rejoint son équipe sur le film « Père, Fils et Guerre Sainte » ils étaient au montage et le film était déjà presque terminé. A chaque fois que je visionnais certaines scènes du film, les larmes me venaient. J’ai compris dès cet instant que je devais continuer et faire quelque chose qui puisse toucher les gens au plus profond… pour que leurs esprits changent.

Je suis partie ensuite pour les Etats-Unis pour continuer mes études, et j’ai commencé à travailler sur des films documentaires pour le National Geographic, Discovery, la Chaîne Histoire, et PBS, entre autres. J’ai travaillé sur des sujets traitant d’histoire, d’archéologie, de paléontologie, et il n’y avait pas vraiment de place pour toucher le coeur des gens et faire évoluer le monde et les mentalités.

De retour en Inde, j’ai pu enfin travailler sur des sujets liés à l’environnement et à la société, et c’est là que j’ai compris que ce qui m’intéressait vraiment, c’était de toucher les coeurs pour que le regard des gens sur eux-mêmes et sur le monde change, et pour tenter d’améliorer le monde tous ensemble. Je pensais alors que le documentaire était trop pédagogique, qu’il ne me permettrait pas de traiter des sujets sensibles, et je me suis dit que la fiction me le permettrait.

CHUSKIT est votre premier long métrage de fiction: comment s’est passé le tournage dans une région aussi difficile et reculée que le Ladakh?
J’avais déjà travaillé au Ladakh pour National Geographic, alors je connaissais les difficultés du terrain. En fait, nous tournions à plus de 5000 mètres d’altitude, et l’un de nos assistants caméra a été très malade. Nous avons dû faire venir une équipe médicale sur place. Nous avons eu beaucoup de chance qu’il s’en sorte. La peur d’autres incidents m’a forcée à être encore plus vigilante, surtout en matière de sécurité, et je suis heureuse de pourvoir dire que nous avons relevé le défi ensemble et vaincu la rigueur des lieux.   

Comment s’est fait le choix de cette histoire, et particulièrement du thème du handicap, puisque le film est l’histoire d’une fillette qui vit dans les montagnes de l’Himalaya et qui est handicapée?
Ma soeur Vidhya Ramasubban, a travaillé avec des enfants du Ladakh souffrant de diverses formes de handicap, pendant plus de dix ans. Ce film est directement inspiré de son travail avec l’un de ces enfants, une fillette nommée Sonam Spalzes. Même si certains aspects de son histoire ont été romancés, mon film raconte son combat et sa victoire.

Est-ce-que CHUSKIT est aussi une film féministe?
Absolument.

Comment avez-vous trouvé les comédiens?
Vidhya avait travaillé avec Chetan Angchok quand elle vivait au Ladakh. Il enseigne le théâtre dans les écoles, c’est lui qui a organisé le casting, et de nombreux enfants s’y sont présentés. Jigmet Dewa Lamo s’est montré de très loin le plus talentueux. 

Comment le public en Inde a-t-il réagi au film? Avez-vous présenté le film au Ladakh?
Nous avons fait une première présentation du film à Bombay pour l’équipe, les comédiens et leurs familles, et puis nous sommes retournés au Ladakh pour le présenter à l’équipe et aux comédiens sur place. Dans les deux cas, j’ai été très émue de voir l’enthousiasme du public. Je ne pensais sincèrement pas que le film recevrait un tel accueil.

Il a déjà été présenté dans des festivals en Inde et ailleurs, et c’est pour moi un véritable bonheur de voir le nombre de personnes qu’il a déjà touchées. 

Le film a nécessité plusieurs années de réalisation, comment vous êtes-vous arrangée pour que ni vous ni votre équipe ne perde jamais foi dans le projet? 
Oh mais j’ai perdu foi si souvent: j’ai douté du scénario, de mes compétences en tant que réalisatrice, et surtout de ma capacité à lever des fonds pour le faire… mais à chaque fois, quelqu’un me disait quelque chose qui me redonnait confiance et me propulsait plus loin. Le soutien le plus significatif, je l’ai reçu de Jolein Laarman qui m’a guidée dans l’écriture du scénario. Elle ne m’a pas seulement permise de developper un meilleur scénario, mais elle  n’a jamais cessé de m’encourager à aller plus loin et à creuser plus profond. J’ai beaucoup d’admiration et d’affection pour elle. On a tous besoin de quelqu’un comme elle, qui vous soutient et vous pousse plus loin.

Vous avez en partie produit le film grâce au financement participatif, pensez-vous que ce soit un bon moyen de produire des films aujourd’hui? le recommandez-vous?
Vous savez en Inde, nous avons très peu de choix pour produire un film avec des financements publics, il faut donc nécessairement chercher des financements privés. Dans mon cas, personne ne savait qui j’étais, et donc il m’était quasi impossible de simplement ouvrir la porte d’un financier privé. C’est la raison pour laquelle j’ai décidé de faire appel au financement participatif pour pouvoir réaliser une bande-annonce et être enfin prise au sérieux. Ça a fonctionné d’ailleurs parce que les gens ont pu voir que j’étais capable de mettre une histoire en images.

Pour mon prochain film, je vais essayer de réunir davantage de gens pour investir des sommes plus petites, et permettre ainsi au film de ne pas être dépendant entièrement du marché. Si l’art veut évoluer, il faut des commanditaires. Mais le marché ne cherche que des retours sur investissement, ce qui tire la création vers le bas et en limite l’expansion à chaque fois que l’on dépend exclusivement du marché.

Quels sont vos projets? Préparez-vous un prochain film?  
J’ai attrapé le virus du film et je travaille sur un prochain scénario qui se déroulera en Inde du Sud. Ce sera l’histoire d’une femme qui a un fils atypique. 

Est-ce-que CHUSKIT  vous a permis de rencontrer de nouveaux partenaires et des financiers potentiels?
On verra quand je présenterai mon prochain scénario aux financiers! Si vos lecteurs veulent contribuer même modestement à mon prochain film, mon rib est à leur disposition 🙂 

Une Question à Bich Vuong, réalisatrice du long-métrage documentaire en compétition : « Do you feel what I see » interviewé par Alexandre Périchon pour le Festival International du Film sur les Handicaps.

VUONG NGOC BICH

Quel est votre parcours, en tant que réalisatrice de film, et pourquoi avez-vous choisi d’aborder le thème du handicap ?
Après avoir été diplômé d’une école de Journalisme et Communication, j’ai commencé à travailler en tant que reporter dans le milieu socio-culturel en 2012 à la Télévision Vietnamienne Internationale. J’ai une expérience de sept ans de travail auprès de populations défavorisées comme les personnes handicapées, les personnes atteintes de maladies mentales, les femmes et les filles victimes de la traite d’êtres humains, les groupes LGBT, les minorités ethniques…

Etant un reporter d’information, j’ai essayé de faire des programmes vedette sur les droits humains. Le programme qui a marqué le développement de ma carrière est un programme célèbre appelé  » Chemin du retour « . Ce programme est sur les femmes et les filles de minorités ethniques, qui ont fait l’objet de trafic d’êtres humains. Ce film a été primé en tant que finaliste pour le Film Documentaire sur les Droits de L’Homme par L’Institut de Diffusion Asia Pacific (AIBD) en 2016. Depuis 2016, j’ai également été le directeur, le producteur d’un programme connu appelé  » La vie est belle ». C’était à l’époque le seul programme spécialisé pour les personnes handicapées (PWDS). Auparavant l’image des personnes handicapées dans les médias était souvent associée à la souffrance, la pauvreté, et au fait d’être dépendant des autres. Mais la série « La vie est belle  » proposait plutôt des histoires énergiques sur la communauté courageuse et indépendante des personnes handicapées.

Quand j’ai pris la direction et la production de ce programme TV, il y avait 7 ans qu’il avait été lancé. Le Vietnam a mis en œuvre beaucoup de programmes en faveur des personnes handicapées, qui fait que dans les 7 dernières années, leurs vies ont beaucoup changé. C’était pour moi la raison d’en changer le format afin qu’il soit adapté au problème du Vietnam à cette époque. Premièrement, j’ai renouvelé le casting des présentateurs du programme TV. Trois femmes handicapées ont été choisies comme nouvelles présentatrices. Bien qu’elles n’avaient pas été formées professionnellement en tant que présentatrices, elles avaient les connaissances nécessaires sur les problèmes que rencontrent les personnes handicapées au Vietnam. Elles savent donc exactement à quels problèmes sont confrontées ces personnes dans la vie réelle, ce qui a aidé à rendre ce programme plus attractif pas seulement pour les personnes handicapées mais également pour les spectateurs de TV en général. Pendant cette période j’ai mis en place mon réseau de personnes, conseillers, experts et amis proches qui étaient intéressés par ce sujet. Nous avons passé beaucoup de temps à discuter des problèmes rencontrés par les handicapés au Vietnam, essayant de trouver des solutions et lançant des initiatives pour les aider à vivre et à tous s’intégrer. Mes efforts d’alors ont été perçus comme un grand pas dans ma carrière de journaliste.

Même si je continue de suivre beaucoup d’autres sujets comme la santé mentale, les minorités ethniques, les personnes handicapées sont le sujet pour lequel je consacre le plus de temps. Les animateurs sont des handicapés, c’est ainsi que VTV4 et moi-même créont un environnement d’intégration pour ces personnes. Je veux vraiment qu’elles saisissent cette opportunité pour montrer leurs capacités. L’apparition de Maitres de Cérémonie handicapés sur les diffuseurs nationaux a vraiment fait la différence. Ils peuvent parler de leurs problèmes sur des chaines de TV. Ils peuvent motiver d’autres handicapés à se lancer dans différents domaines. Par ailleurs, c’était la preuve que les médias peuvent changer l’attitude des non-handicapés en éliminant les préjudices causés aux handicapés.

J’ai été particulièrement impressionnée par l’animatrice Huong Giang. Ayant une cécité congénitale et ayant perdu la vue à 10 ans, MC Huong Giang est malgré tout une maîtresse de cérémonie talentueuse qui peux diriger élégamment et sans effort et recueillir la sympathie des téléspectateurs. A force de travailler ensemble, Giang et moi sommes devenus proches et elle a pu me faire partager sa vie au quotidien. J’étais curieux de savoir comment une personne qui ne voit rien peut faire autant de chose qu’une personne voyante. Je me demandais comment Giang pouvait estimer correctement l’âge d’une personne en face d’elle juste en lui parlant. Notamment, quand elle rentrait dans une nouvelle pièce, Giang était capable de me dire à quel point elle était belle, ce qui était vraiment le cas. Je lui demandais comment elle le savait, et à mon étonnement elle répondit  » Je peux sentir sa belle odeur, et le son dans cette pièce est très mélodieux. Les deux me plaisent beaucoup, donc je sais qu’elle est belle ».

Ensuite, Giang m’a présenté ses amis. Ils sont également aveugles, et néanmoins, ils sont tous mariés. Je pouvais voir leurs sourires joyeux chaque fois qu’ils parlaient de  » leurs moitiés ». Je me demandais comment ils rencontraient leurs conjoints. Ils m’ont répondu :  » L’important n’est pas l’apparence. C’est la sensation quand tu prends sa main, ce qui est un aspect décisif quand tu choisis quelqu’un. Quand tu tiens la main, tu peux ressentir comme un choc électrique, ou te sentir comme quand tu marches dans un jardin au printemps ; ou bien tu perçois tous les sentiments de tristesse, de joie, ou de colère… Et tu sais à ce moment qui est vraiment ton conjoint « . Ça me fait donc penser que dans la vie il n’y a pas besoin de préciser les couleurs comme blanc, noir, violet, ou les formes comme rond ou carré. Quand je vois les tableaux peints par les aveugles, je comprends mieux comment le monde peut aller au-delà des limites visuelles. Pour la toute première fois, j’ai décidé de faire un programme TV de 30 mn dédiés aux aveugles pour dévoiler leurs histoires, leurs vies. 

Une fois, j’ai eu la chance de dîner dans le noir dans un restaurant appelé « Le Noir » à Ho Chi Minh Ville. Les serveurs et serveuses étaient des personnes non-voyantes. Quand je suis rentré dans la salle noire, d’un seul coup, j’ai compris les mots qu’un jour m’a dit mon ami  » La vie a donné aux aveugles des règles différentes. Nous devons la jouer à notre façon « . On parle toujours  » du monde de la lumière « , quand on pourrait facilement faire avec notre vision. Mais quand je suis rentré dans cette salle sans lumière, j’ai ressenti moi-même ce à quoi étaient confrontés les aveugles au quotidien. L’obscurité vous procure de la peur. Mais cette peur a soudain été remplacée par de la paix d’esprit quand un serveur a pris ma main et m’a conduit à ma table. Il m’a guidé pour utiliser ma cuillère et mon couteau dans le noir. Il m’a aussi guidé vers le verre d’eau et vers les plats. Comme je pouvais écouter calmement, et me concentrer sur tous mes sens, le goût, l’odeur, et surtout le toucher ; j’ai vraiment apprécié le repas et j’ai pû mieux percevoir tout autour de moi. Pour moi, je pense donc que l’espace entre le monde de la lumière et le monde de l’obscurité n’est pas aussi grand, car il y a une connexion entre les âmes.

Ensuite j’ai décidé de passer 2 mois à faire mon premier documentaire  » Ressens-tu ce que je vois ? ». J’ai travaillé de plus en plus souvent avec les aveugles de tout le pays pour faire ce film. Ce n’est pas seulement sur la vie des personnes non-voyantes, mais aussi sur leur ressenti et leur façon d’interagir avec le monde autour d’eux, sur la façon dont ils surmontent les challenges et reste debout dans la vie comme n’importe qui. Je crois que ces histoires feront réaliser au public que la vie n’est pas juste une question de lumière ou d’obscurité, mais plutôt de trouver la lumière dans l’obscurité. Toutes les barrières sont établies par l’homme, et les gens peuvent rendre la vie plus facile pour les non-voyants et les handicapés en général. Par exemple, avec l’aide du logiciel de lecture d’écran, les non-voyants peuvent sans difficultés utiliser des ordinateurs et des smartphones. L’accès facile à internet a considérablement changer la vie des non-voyants Vietnamiens. Mais si les programmes TV sont en version sous-titrée pour décrire les images, et comprennent des sons réels, les non-voyants peuvent également regarder la télé sans difficultés. C’est pour cette raison que j’ai décidé de faire une autre version exclusivement pour le public non-voyant au Vietnam ( audio-description). Ça m’a aussi encouragé à porter plus d’attention à la création de plus de produits à faveur des non-voyants, pour leur rendre la vie plus accessible.

Le documentaire  » Ressens-tu ce que je vois ? » est la première partie de la série « Se comprendre les uns les autres », dans laquelle j’essaie de montrer la vie des handicapés au Vietnam. La raison qui me pousse à faire cette série est que je me sens chanceux quand je croise la vie de personnes handicapées. C’est vraiment une grande chance pour moi de raconter des histoires, qui montre leur monde au public, afin que chacun ait un regard de plus en plus positif sur elles. Comme on peut le supposer moi et mon équipe avons encore un long chemin et beaucoup de difficultés devant nous. Mais c’est notre mission que de continuer notre travail et de faire de notre mieux pour créer des changements dans la vie des personnes handicapées au Vietnam.

Pour en savoir plus sur le Festival International du Film sur les Handicaps : https://www.festival-international-du-film-sur-le-handicap.fr/

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