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Emploi et handicap en hôpital privé : 3000 recruteurs

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Faire rimer emploi et handicap en hôpital : c’est ce que souhaite l’Observatoire de l’hospitalisation privée. En effet alors que le secteur de l’hospitalisation privée recouvre 3000 entreprises et 220 000 postes, tous ces recruteurs potentiels peinent à recruter des travailleurs handicapés.

Jean-Pierre Chaniat, président de l’Observatoire de l’hospitalisation privée et Frédérique Bordet, vice-présidente, font un état des lieux de la problématique ” Emploi et handicap en hôpital privé aujourd’hui “.

Pouvez-vous nous présenter l’Observatoire de l’hospitalisation privée ?
J.P. Chaniat : L’Observatoire de la branche sanitaire et médico-sociale de la santé privée à statut commercial c’est 3 000 entreprises : 1000 entreprises du secteur sanitaire et environ 2000 entreprises du secteur médico-social, pour un total de plus de 220 000 salariés. Cet observatoire a pour rôle d’observer ce qui se passe dans la branche, notamment les mutations technologiques, la formation et l’emploi. C’est la raison pour laquelle le sujet des travailleurs handicapés nous a interpellés et a motivé notre séminaire annuel qui a eu lieu les 22 et 23 mars à Marseille. Celui-ci était consacré aux travailleurs handicapés, à leur embauche et à leur maintien dans la branche.

Pouvez-vous dresser un état des lieux de la situation des travailleurs handicapés dans le secteur de la santé ?
J.P. Chaniat : Nous avons réalisé un état des lieux en 2014, en procédant à une étude sur l’emploi et la formation des travailleurs handicapés. Les résultats de cette étude ne sont pas catastrophiques mais il y a quand même un taux d’emploi direct de 4,63 % et un taux d’emploi indirect de 0,23%. Deux taux qui ne sont pas satisfaisants pour les membres de notre observatoire.

Quelles sont les principales problématiques aujourd’hui ?
F. Bordet : Le premier problème, c’est qu’il y a dans notre branche des travailleurs handicapés qui s’ignorent, qui pourraient avoir une RQTH mais qui n’en bénéficient pas, quelle qu’en soit la raison (choix personnel ou ignorance des possibilités). Autre problème : nous sommes nous-mêmes, du fait de certains emplois très physiques, générateurs de travailleurs handicapés. Nous développons des programmes pour la lutte contre les troubles musculo-squelettiques, car on s’aperçoit que les principales populations porteuses de handicap dans la branche de l’hospitalisation privée sont : les ASH (agents de service hôteliers ou hospitaliers) qui s’occupent notamment du ménage, des services en chambres… ; et les aides-soignantes (qui représentent 21% des travailleurs handicapés dans la branche), métier très difficile physiquement même si, heureusement, les aides à la manutention se développent. Ces métiers sont générateurs de troubles musculo-squelettiques et à plus long terme de travailleurs handicapés. Il y a également les infirmières qui représentent plus de 20% des travailleurs handicapés dans notre branche. Sur ces métiers, nous devons vraiment trouver comment réduire les handicaps que nous pouvons générer, et comment maintenir dans leur emploi les gens ayant la RQTH.

Il faut aussi que ces personnes ayant un handicap généré par leur emploi osent le dire ou sachent comment s’y prendre…

  1. Bordet : Tout à fait. C’est vrai que lorsqu’il y a eu la première grande campagne étatique pour venir imposer des quotas de travailleurs handicapés, il y a beaucoup d’entreprises qui ont pris les devants et qui ont été voir leurs salariés en leur demandant : « Est-ce que par hasard vous auriez une RQTH que vous n’auriez pas encore communiqué à l’entreprise ? ». Car il faut savoir qu’aujourd’hui en entretien d’embauche, un travailleur handicapé ayant un handicap invisible ne va pas forcément le dire. Ou bien parce qu’il va se dire « je ne vais pas avoir le poste » ou bien parce qu’il a envie d’être embauché comme n’importe qui, non pas parce qu’il a une RQTH mais parce que c’est quelqu’un qu’on va considérer comme compétent.
    J.P. Chaniat : Il peut aussi craindre pour son évolution, les questions de reclassement dans les entreprises… Bon nombre de salariés, même déjà en poste hésitent à se déclarer travailleurs handicapés. Il y a aussi le regard porté par certains sur les travailleurs handicapés, notamment sur le handicap physique… c’est aussi un frein à l’emploi dans nos entreprises car malheureusement il y a encore des a priori. Certaines entreprises ont peur de désorganiser des services en employant un travailleur handicapé, ou ont peur d’un certain isolement de celui-ci dans son service. Nous l’avons vu lors de notre séminaire avec des cas relativement durs de salariés qui n’étaient pas acceptés dans l’entreprise.
    F. Bordet : Dans des entreprises de soins, on entend aussi souvent : « Comment être un bon soignant si nous-mêmes devons être soignés ? ». Alors qu’en fait ce n’est pas du tout le type de questions qu’il faut se poser. Le fait d’avoir un handicap ou non n’a rien à voir avec le fait de bien faire son travail de soignant.

Qu’a révélé votre étude concernant la situation des travailleurs handicapés dans la branche de la santé privée ?
J.P. Chaniat : Dans notre branche, 91% des travailleurs handicapés (tous métiers confondus) occupent un poste en CDI, un chiffre sensiblement identique à celui des travailleurs valides. Il faut tout de même nuancer ce chiffre car 57% de ces travailleurs handicapés en CDI ont des contrats à temps partiel. Notre étude a aussi relevé d’autres disparités, par exemple en Île-de-France. On pourrait croire que le maillage des transports et tout ce qui facilite la vie des personnes handicapées y sont plus développés, facilitant l’accès à l’emploi… alors que ce département est en fait celui où le taux d’emploi direct de travailleurs handicapés est le plus bas de la branche, avec seulement 3,25%. Le contexte lié aux différents lieux, notamment les transports, font que dans certaines régions rurales il est relativement compliqué d’embaucher un travailleur handicapé… mais pas seulement en milieu rural. On voit aussi des problématiques de transport dans d’autres régions, comme à Marseille où les transports en commun sont inadaptés au handicap.
F. Bordet : En sachant que là on parle de handicap moteur. Mais 80% des handicaps sont invisibles. C’est-à-dire que là on parle de la personne handicapée qui a du mal à venir sur son lieu de travail. Au-delà, il reste une véritable interrogation sur tous ces autres travailleurs handicapés, qui eux, peuvent marcher et prendre le métro comme tout le monde… Où sont-ils ? Pourquoi ne sont-ils pas représentés dans nos entreprises ? Et où sont-ils embauchés ? Même si on sait que le taux de chômage des travailleurs handicapés est deux fois supérieur à celui de l’ensemble de la population active, malgré tout, les branches, de manière générale, ne sont pas très employeuses de travailleurs handicapés. Même s’il y en a qui ont fait plus d’efforts, ont mené des campagnes.

Dans quelle mesure les personnes handicapées sont-elles représentées dans le secteur de la santé privée ?

J.P. Chaniat : Si l’on ajoute le taux d’emploi direct de travailleurs dans la branche (4,63 %) et le taux d’emploi indirect (0,23%), les travailleurs handicapés représentent à peu près 5% du personnel de la branche. Les principaux emplois occupés par ces personnes en situation de handicap sont : les ASH (environ 10%), les aides-soignants (21%), les infirmières (24%). Le reste des emplois se répartit autour du personnel administratif, des responsables d’établissements, des jardiniers, des services généraux. Notre étude est téléchargeable sur le site de l’observatoire.

Constatez-vous une évolution positive au fil du temps ?
F. Bordet : Notre première étude (qui est également la plus récente) date de 2014. Nous devons la rafraîchir avec de nouveaux chiffres cette année, de manière à pouvoir réaliser un véritable comparatif entre 2014 et 2017. La mise à jour sera lancée au 2e semestre 2017 et nous aurons les résultats pour fin 2017 ou début 2018.
J.P. Chaniat : La première étude a permis de poser des indicateurs. Nous allons demander à nos prestataires d’aller voir leur évolution. Nous avons passé une convention avec l’Agefiph pour avoir des chiffres tous les ans. Nous allons réactualiser cette étude sur le plan chiffré, et aussi nous allons essayer de déterminer des pistes de réflexion pour pouvoir favoriser l’emploi des personnes en situation de handicap et aussi le maintien de nos propres travailleurs handicapés.
On doit aussi s’interroger sur un autre plan. La majorité des travailleurs handicapés disposent d’un niveau de qualification relativement faible. L’ensemble de nos diplômes (dans le domaine de la santé) est accessible aux personnes en situation de handicap, tant sur des fonctions cœur de métier (infirmière, kiné, aide-soignant…) que sur des fonctions supports. La grosse problématique reste la formation initiale des travailleurs handicapés : 80% n’ont pas le niveau Bac, ce qui rend quasi impossible des formations sur le cœur de métier. Donc on doit aussi à réfléchir pour savoir quels sont les métiers les plus facilement accessibles, notamment sur les fonctions support qui restent très présentes dans le domaine de la santé et auxquelles les gens ne pensent pas toujours.

Selon vous, qu’est-ce qui pourrait permettre d’améliorer la situation et permettre d’allier plus facilement emploi et handicap en hôpital privé ?
J.P. Chaniat : On a un gros travail de sensibilisation à faire auprès des acteurs de la branche, en matière d’accueil, d’accompagnement, d’évaluation des besoins et des formations. À titre personnel, et cela rejoint un peu la position de l’observatoire, je suis persuadé que les formations sont capitales pour faciliter et préserver l’emploi des travailleurs handicapés dans la branche. On a déjà des pistes d’actions qui nous avons été données par nos prestataires de services : Valoriser les actions des établissements en matière de maintien dans l’emploi, en particulier sur les métiers d’aide-soignant, d’infirmière et d’ASH, qui sont relativement durs. Développer toute une politique de recrutement et de formation des travailleurs handicapés à travers des partenariats et le recours à l’alternance. Améliorer la connaissance des pratiques des établissements – un collectif va nous guider dans notre réflexion.
F. Bordet : On se rend compte aussi que beaucoup de choses dépendent de l’état d’esprit. Le véritable problème, notamment sur la formation initiale, est que lorsqu’on constate un handicap (par exemple chez un enfant) on va avoir tendance à mettre ces enfants de côté, à ne pas les scolariser comme les autres, à ne pas leur donner le même accès aux formations… Dès le départ, c’est nous, « valides », qui allons sur-handicaper ces enfants en leur fermant des portes.
J.P. Chaniat : Il faut que la branche regarde non pas le handicap mais oublie les différences, pour regarder avant tout les compétences professionnelles des candidats. Cela demande aussi un travail énorme de sensibilisation des équipes pour que personne ne soit mis à part.

Plus d’infos sur : www.observatoire-hospitalisationprivee.com

Jean-Pierre Chaniat, président de l’Observatoire de l’hospitalisation privée, et Frédérique Bordet, vice-présidente – Emploi et handicap en hôpital privé

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