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Droits des personnes handicapées : Quid de la Convention de l’ONU

Droits des personnes handicapées : Quid de la Convention de l'ONU
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Pourquoi la Convention Internationale des Nations Unies relative aux Droits des Personnes Handicapées n’est-elle pas appliquée au pays des droits de l’Homme ?

Par Stéphane FORGERON. Outil juridique de promotion des droits humains, la Convention Internationale de l’ONU relative aux Droits des Personnes Handicapées (CIDPH) a été adoptée le 13 décembre 2006 par l’Assemblée Générale des Nations Unies, puis ratifiée par le Parlement français le 18 février 2010. Cette Convention est censée constituer une avancée majeure pour près de 12 millions de citoyens vivant avec un handicap.

Exercer réellement les droits de tous les citoyens

Cette Convention a pour finalité de  » promouvoir, protéger et assurer  » la dignité, l’égalité devant la loi, les droits humains et les libertés fondamentales, ainsi que la participation active à la vie politique, économique, sociale et culturelle des personnes handicapées. À travers cette Convention, les droits reconnus aux personnes handicapées ne représentent pas des droits supplémentaires ; ce sont des dispositions leur permettant d’exercer réellement les droits de tous les citoyens (ex. accessibilité, éducation, emploi, logement, santé).

Or, ratifier un texte international n’est pas suffisant pour rétablir l’égalité des droits d’une population particulièrement défavorisée : encore faut-il mettre en œuvre les engagements pris par le Parlement inscrits dans cette Convention ? Au pays des droits de l’Homme, les gouvernements successifs depuis 2010 refusent d’appliquer la CIDPH, considérant que la Loi de 2005 va au-delà de cette Convention.

Quant aux administrations, et en premier lieu la Direction Générale de la Cohésion Sociale, elles font preuve d’une arrogance sans limite, affirmant dans des groupes de travail européens que  » la France confirme la conformité de son droit interne avec les dispositions de la Convention ONU pour les droits des personnes handicapées : avec la promulgation le 11 février 2005 de la loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes en situation de handicap, et la publication de près d’une centaine de textes règlementaires d’application, la France a été l’un des premiers pays membre de l’Organisation des Nations Unies à assurer une place à part entière aux personnes en situation de handicap dans la vie de la cité. Au moment de la ratification par la France de la convention des Nations Unies sur les droits des personnes handicapées, la plupart des dispositions souhaitées par l’ONU étaient déjà en application en droit français.[1]  »

Les rares associations travaillant sur la mise en œuvre de cette Convention ne décolèrent pas face à un tel mensonge du pouvoir administratif. Pour autant, l’essentiel est ailleurs pour le pays des droits de l’Homme : il a une image à défendre même si celle-ci est grandement tronquée. Montrer au reste du monde que la France fait mieux que les autres pays est une priorité nationale. Tout en violant les principes de la CIDPH dans son droit interne, la France ne peut pas perdre la face !

Un rapport accablant des Nations Unies sur le respect des droits des personnes handicapées en France

Le rapport des services des Nations Unies sur le non-respect de la CIDPH[2] par la France est pourtant accablant, dénonçant sans langue de bois la politique publique de discrimination systémique du pays des droits de l’Homme, à la lumière des normes et règles internationales relatives aux droits humains. L’absence d’égalité des droits entre les Français vivant avec un handicap et le reste de la population ressort à chaque rubrique de ce rapport, tellement la situation est préoccupante.

La France ayant ratifié cette Convention, elle aurait dû à minima initier un processus d’harmonisation pour adapter toute sa législation nationale aux obligations de la Convention, afin de garantir pleinement la participation des personnes handicapées et des associations censées les défendre. Or, sans stratégie en matière de sensibilisation et d’information sur le contenu de la Convention et ses enjeux auprès du grand public et des personnes handicapées, il ne faut pas s’attendre à des miracles ! Cette situation arrange beaucoup d’acteurs institutionnels, même si les déclarations officielles laissent penser le contraire.

Que faire lorsque les lois ou une Convention votées par le Parlement ne sont pas appliquées ? Pour l’État et sa technostructure, la CIDPH est avant tout une déclaration de bonnes intentions, et pour ses hauts fonctionnaires la loi de 2005 respecte les droits de l’Homme, la CIDPH n’apportant aucune avancée.

Des décalages importants dans les textes

Pourtant, des décalages très importants dans les textes, les modèles (médical versus social du handicap), les politiques et les pratiques sont à relever, et l’esprit de la Convention n’a pas été compris par la représentation nationale au moment des débats parlementaires pour sa ratification.

Tout étudiant en droit apprend que les traités et conventions internationales sont supérieurs en droit à une loi (Art. 55 de la Constitution), la doctrine étant constante pour ce qui est de leur effectivité : la hiérarchie des normes les place au-dessus des lois. Ainsi, une stipulation de la CIDPH devrait être d’effet direct en droit interne, c’est-à-dire applicable par le juge dans les litiges qui lui sont soumis. Le rapport Blatman[3] précise toutefois  » dès lors qu’elle est suffisamment précise et inconditionnelle « .

Qu’entend-on par stipulation suffisamment précise et inconditionnelle ? Si, par exemple, une stipulation d’une convention est jugée trop générale, elle n’a pas d’effet direct et requiert des dispositions complémentaires (ex. décret d’application rédigé par les administrations) en droit interne. D’après Michel BLATMAN, conseiller honoraire à la Cour de cassation,  » pour qu’une disposition conventionnelle soit reconnue d’effet direct, elle doit satisfaire certains critères : être suffisamment précise et inconditionnelle, avoir pour objet de garantir des droits au profit des particuliers et ne pas nécessiter de mesures complémentaires de l’État pour produire des effets à l’égard des particuliers « .

Cependant, le Conseil constitutionnel a une fâcheuse habitude de  » botter en touche  » : cette juridiction décline depuis fort longtemps sa compétence pour apprécier la conformité d’une loi aux stipulations d’un traité ou d’une convention internationale. Son argumentaire est constant en l’espèce : la juridiction suprême de la République française se limite à un contrôle de constitutionnalité et non de conventionalité. Du reste, pour cette juridiction, toute disposition en faveur de la population handicapée implique  » la mise en œuvre d’une politique de solidarité nationale[4]  »

Pas de réelle contrainte ni sanction

Aussi, les stipulations de la CIDPH n’ont pas d’effet direct (ou force de loi) en droit français, dès lors que les dispositions ne sont pas jugées suffisamment détaillées ou précises par le pouvoir administratif. En conséquence, l’exécutif peut bloquer l’application de toute Convention pendant des décennies bien qu’adoptée par la représentation nationale. La CIDPH est entrée dans notre droit national, sans réelle contrainte ni sanction si l’État ne transpose pas en droit interne les dispositions de la Convention.

[1] Eight Disability High Level Group Report on the Implementation of the UN Convention on the Rights of Persons with Disabilities – Septembre 2016.

[2] Nations Unies, Conseil des droits de l’homme, Rapport de la Rapporteuse spéciale Catalina Devandas-Aguilar sur les droits des personnes handicapées. Promotion et protection de tous les droits de l’homme, civils, politiques, économiques, sociaux et culturels, y compris le droit au développement. Visite en France du 3 au 13 octobre 2017. GE.19-00232, 8 janvier 2019.

[3] L’effet direct des stipulations de la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées. Rapport au Défenseur des droits, par Michel BLATMAN – Décembre 2016.

[4] Décision n° 2018-772 DC du 15 novembre 2018.

 

 

 

 

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