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Déficience intellectuelle : L’UNAPEI milite et se mobilise

Marie-Aude Torres Maguedano, Directrice Exécutive de l’Unapei. Déficience intellectuelle.
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Déficience intellectuelle : L’Unapei milite pour une société inclusive et solidaire

Dans le cadre de notre numéro dédié à une meilleure connaissance de la déficience intellectuelle, cognitive et des maladies psychiques, nous nous sommes rapprochés de l’UNAPEI. C’est la première fédération d’associations françaises de représentation et de défense des intérêts des personnes concernées et de leurs familles. L’Unapei milite pour une société solidaire et inclusive, soit une société où chaque personne handicapée est considérée comme un citoyen à part entière et dispose de réponses d’accompagnement adaptées à ses attentes et à ses besoins. C’est une union d’associations composée de 550 associations membres. Elles rassemblent plus de 55 000 familles adhérentes et 71 500 bénévoles. Elles emploient 94 000 professionnels au sein de 3 100 établissements et services médico-sociaux, lesquels accompagnent près de 200 000 personnes handicapées. L’Unapei est donc une organisation qui, en France, connait bien le quotidien des personnes porteuses d’une déficience intellectuelle ou/et cognitive, et les difficultés auxquelles elles sont confrontées. Nous avons eu un long entretien avec Marie-Aude Torres Maguedano, Directrice Exécutive de l’Unapei. Elle nous décrit l’histoire, les valeurs et les missions de l’Unapei et nous parle des personnes qui sont à l’origine de ce mouvement comme de celles qui sont au cœur de leurs préoccupations.

Un peu d’histoire

« L’Unapei fêtera en 2020 ses 60 ans. Cependant la première association membre du mouvement  basée à Lyon a déjà 70 ans. Ces dernières années comme celles à venir, de nombreux membres de notre réseau ont fêté ou fêtent leurs 60 années ou plus d’existence. Le mouvement de l’Unapei s’est construit au fil du temps via des associations locales créées par des parents d’enfants handicapés. De ces parents visionnaires et entrepreneurs dispersés sur tout le territoire, a ensuite émergé l’idée de créer en 1960 une antenne parisienne. Il est vrai qu’en France les enjeux politiques et réglementaires se traitaient à l’époque principalement à Paris. Les mutations politiques actuelles conservent à Paris, un rôle politique central malgré plus de 35 années de politique de décentralisation. L‘autre grande ambition de ces parents était de permettre à l’ensemble des acteurs de partager leurs expériences et des informations sur leurs expérimentations innovantes. Lors du congrès annuel de l’Unapei, qui a eu lieu au mois de juin, plus de 2000 personnes étaient présentes venues de toute la France. Bien que dispersées et issues de milieux et de régions très différentes, elles partagent les mêmes valeurs et des expériences de vie communes. Le congrès annuel illustre parfaitement le dynamisme de notre mouvement et l’engagement de ses adhérents. Cette manière de fonctionner en réseau est née de la volonté de se regrouper pour porter une parole forte dans les instances politiques, mais aussi par besoin de partager des expériences et des solutions ».

Une organisation militante et gestionnaire en réseau

« L’Unapei est une union et non pas une fédération » d’associations. Derrière les 550 associations qui en font partie, la tête de réseau d’environ 40 personnes se décompose en services. Il y a le service qui regroupe des juristes et experts spécialisés par domaine, tels que l’accessibilité, l’éducation, la protection juridique des majeurs, les ressources, le travail, la santé, la recherche sur les troubles du neuro développement… c’est le lieu de création de la «doctrine» Unapei en lien avec les élus. Un autre pôle est chargé de ce qui touche à la qualité et au développement du réseau en incluant la dimension parentale de notre réseau. Un autre pôle est chargé du plaidoyer et un autre de la communication. Le pôle plaidoyer et influence accompagne et soutient entre autres les élus dans leurs activités de représentation politique.

De la plus petite association à la plus grande, nos structures adhérentes possèdent le même type de gouvernance, dont un conseil d’administration composé de parents, d’amis et de personnes  handicapées intellectuelles ou cognitives .Les élus sont bénévoles. En parallèle nous retrouvons bien sûr les professionnels qui gèrent les différents services de l’association. Bien que de nombreux professionnels travaillent au sein du réseau Unapei, la place des parents, entrepreneurs et militants, reste centrale dans nos associations.

La taille de nos différentes associations est variable. Nous représentons une dizaine d’associations qui emploient de 1000 à 1500 salariés et constituent « l’association départementale » du réseau Unapei. Ainsi la Vendée emploie 1800 salariés dont 95 personnes au siège, c’est l’association dont est issue Luc Gateau le président de l’Unapei. L’association du département du Doubs emploie plus de 2000 salariés. Il y en a de plus petites employant 200 à 300 salariés pour 500 personnes accompagnées. Sur la région parisienne, il y a aussi un grand nombre d’associations. En Guyane, l’association locale regroupe 13 établissements et services, en Martinique 16 établissements et services. Ce sont souvent d’anciennes associations présentes sur des territoires reculés ».

Déficience intellectuelle : Les établissements

« Les associations de l’Unapei pilotent des établissements et services qui accompagnent le parcours de vie de la personne handicapée. A chaque étape de la vie, un établissement ou un service  accompagne la personne handicapée et ce jusqu’au grand âge. Nous expérimentons des dispositifs d’accueil avec certains EHPAD, cependant nos résidents âgés vivent souvent en foyer. Aujourd’hui plus de 75% des personnes travaillant en ESAT, prennent leur retraite chez leurs parents. C’est difficile pour les uns comme pour les autres et indigne de notre société. Le vieillissement des personnes handicapées est un sujet central de préoccupation pour l’Unapei depuis de nombreuses années. À titre d’exemple, l’une de nos associations basées à Valencienne travaille avec un service de gérontologie pour développer l’expertise des professionnels à l’accompagnement de personnes handicapées intellectuelles et cognitives. Les EPHAD qui accompagnent habituellement les personnes avancées en âge, de l’ordre de 85 ans et plus, voient arriver désormais des personnes handicapées ayant entre 55 et 65 ans. Les personnes handicapées intellectuelles ou cognitives sont en effet souvent sujettes à un vieillissement précoce et à des maladies telle la maladie l’Alzheimer. Un projet baptisé GENIDA porté par le Dr. Florent Colin et le Pr. Jean-Louis Mandel a pour ambition de générer de nouvelles connaissances d’intérêt médical qui pourraient améliorer la prise en charge des patients. Elle nécessite la participation directe des familles afin de collecter des données liées à la pathologie et des informations utiles concernant les défauts génétiques spécifiques affectant leur proche. Si les études ont beaucoup porté sur des jeunes patients elles s’orientent dorénavant vers des patients âgés pour améliorer leur prise en charge ».

Les différentes situations de handicap 

« Chaque situation de handicap implique un degré et un besoin d’accompagnement. À l’Unapei, nous accompagnons un prisme assez étendu de situations de handicap. Les plus lourdes sont représentées par les personnes polyhandicapées ou avec autisme sévère. Elles nécessitent un accompagnement 24/24h. Au mois de janvier dernier ont eu lieu les Etats Généraux de la déficience intellectuelle à l’UNESCO, qui ont rendu public la notion de «troubles du neuro-développement». Les troubles neuro-développementaux incluent nombre des situations de handicap que nous accompagnons. Ces troubles ont pour conséquence une déficience intellectuelle avec des conséquences plus ou moins importantes sur l’autonomie et la participation à la société des personnes. Nous faisons par ailleurs face à d’importants déficits de diagnostic. Nous connaissons les tests anténataux sur la trisomie, cependant les dernières recherches font apparaître plus de 600 gènes différents qui sont à l’origine de niveaux de déficiences multiples et variées ».

Déficience intellectuelle : Comment s’envisage la vie de l’enfant diagnostiqué ?

« Le parcours classique passe par la maison des personnes handicapées (MDPH) qui établit une orientation grâce à l’intervention d’une équipe multi disciplinaire qui évalue les attentes et les besoins des personnes handicapées. Cette orientation vers un établissement spécialisé ou un autre dispositif est clé, car elle détermine les moyens mis en œuvre pour l’accompagnement de la personne et de sa famille. Immédiatement les familles sont confrontées à des listes d’attente pour trouver un accompagnement en établissements ou services. Il n’y a pas forcément de solutions pour eux. Nous nous battons pour les 48 000 personnes handicapées sans solution ou sans solutions adaptées. Aujourd’hui l’offre médicosociale se transforme, ce qui consiste à passer d’une logique de dispositifs à une logique d’accompagnement. Selon les personnes, il faudra un accompagnement en établissement, pour d’autres des services d’accompagnement à leur domicile, au travail. Nous regardons également de près la notion d’habitat inclusif car elle offre des possibilités de vie autonome pour des personnes qui vivaient jusqu’alors en foyer, y compris les personnes considérées comme moins autonomes. A l’aide de ces dispositifs, les personnes handicapées découvrent leurs capacités d’autonomie et font évoluer les accompagnements professionnels. Il faut cependant dans ce cadre prévoir parfois un éventuel retour en établissement si nécessaire. Ces transformations constituent un enjeu majeur pour le secteur médicosocial. Les handicaps des personnes handicapées pouvant varier au court du temps. À cela s’ajoute le fait que les termes de la solidarité familiale ont considérablement changé ces dernières années. Il y a 40 ans des parents s’engageaient toute leur vie comme aidants auprès de leur enfant. Nous assistons aujourd’hui à des phénomènes sociologiques nouveaux : augmentation du nombre de familles monoparentales, des familles recomposés, des fratries qui font leur vie loin de leur lieu de vie d’origine. L’environnement des familles qui bénéficient de l’étayage des établissements et services de l’Unapei s’est considérablement modifié. Nous sommes bousculés par ces évolutions sociétales et sociales.
À la base ce sont les parents et les amis membres de l’Unapei qui se sont battus pour que l’accompagnement soit professionnel, structuré et adapté ». 

En dehors de l’autisme existe-t-il un mouvement fort pour d’autres types  de handicap?

« Il y a en France des associations qui représentent des handicaps spécifiques comme la trisomie, le polyhandicap…. Ces associations œuvrent depuis des années avec l’Unapei à la défense d’intérêts communs au sein du Comité d’entente. Les Etats Généraux du handicap ont démontré le risque de traiter les différents handicaps de manière séparée. Aujourd’hui nous devons co-construire les politiques publiques à moyens constants. Par ailleurs les connaissances scientifiques sur le handicap sont encore à l’état embryonnaire. L’Etat a  investi dans l’accompagnement, ce qui est une bonne chose. Il se doit de renforcer la recherche et impulser la mise en œuvre d’une société effectivement ouverte à tous, où les personnes handicapées pourront jouir pleinement de leurs droits fondamentaux : aller à l’école, se former, travailler, se soigner, accéder à l’information, se loger, voter, … Nous estimons qu’il est prioritaire que l’accompagnement des personnes handicapées intègre les dernières connaissances de la science et que les diagnostics permettent de mieux accompagner les personnes handicapées et anticiper leurs besoins futurs d’accompagnement aux différentes étapes clés de leur vie : naissance, petite enfance, adolescence, vie de jeune adulte, aggravement du handicap, vieillissement ».

En quoi les associations peuvent contribuer à ces évolutions ?

« Historiquement les parents se sont regroupés face à des manquements qui n’était pas que politiques mais également sociaux et sociétaux. Les personnes handicapées étaient maintenues à part, isolées, rejetées et ségrégées. Rappelons-le des milliers de personnes handicapées sont mortes de faim pendant la guerre, abandonnées par les institutions psychiatriques d’alors. Après-guerre, les parents ont construit les établissements qui ont d’accompagné leurs enfants vers l’école, puis vers le travail. Les gouvernements successifs ont permis à ces établissements et services médico sociaux d’être financés par la solidarité nationale. Les lois de 1975 impulsée par Simone Veil, de 2002, de 2005 et de 2007, la convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées ont fait évoluer tant le cadre réglementaire du secteur médicosocial, que les droits des personnes handicapées. Aujourd’hui le contexte politique est recomposé avec un gouvernement qui met en avant la responsabilité individuelle de chacun pour construire sa destinée. Les associations représentant les personnes les plus vulnérables ayant besoin d’un accompagnement durable et pérenne se trouvent de fait piégées dans ce nouveau système. Je prends l’exemple de la rapporteuse de l’ONU qui est venue faire un état de lieux en France de la politique du handicap et qui œuvre à mettre en œuvre des politiques plus inclusives incluant je la cite «la fermeture des établissements». La rapporteuse incite le gouvernement à venir balayer l’existant. Ce type de visite, au lieu d’être vertueuse car elle s’inspire des principes promus par la convention de l’ONU relative aux personnes handicapées ratifiée par la France en 2010 et que l’Unapei soutient, crispe la situation politique sur ces questions en opposant les associations au gouvernement. Dans l’absolue, si les associations existent, c’est aussi parce qu’il n’y avait rien avant. Il faut de fait partir de l’existant pour parvenir à une société effectivement inclusive comme le soutient le volet prospectif adopté le 3 juillet dernier par la CNSA. Cela ne se fera pas du jour au lendemain. Nous vivons par ailleurs toujours aujourd’hui une très forte exclusion des personnes handicapées intellectuelles et cognitives de la société, du fait des manques d’accompagnement. Dès l’origine, des parents militants ont mis en œuvre des réponses à des problèmes que les gouvernements avaient laissé de côté. Ils ont créé ce qui n’existait pas et milité pour les droits. Ils ont su créer un système d’entraide autonome que les pouvoirs publics ont fini par financer.

Depuis un an, nous vivons une mutation politique qui consiste à mettre en cause ces mêmes établissements et services. Pourtant nous n’avons pas démérité : les établissements de soutien et d’aide par le travail (ESAT) en sont la preuve de par leur capacité d’innovation et d’inclure dans la société les personnes les plus éloignées du travail. Nous avons récemment fait état au congrès de l’Unapei des possibilités d’accompagnement des élèves handicapés et polyhandicapés en maternelle. Nos associations ne cessent depuis 70 ans de pousser les murs ».

Le droit de vote des personnes sous tutelle, étiez-vous pour ou contre? 

« Nous militons pour le droit de vote depuis 10 années avec nos associations tutélaires qui s’occupent des majeurs protégés. Le droit de vote des personnes handicapées intellectuelles, qui sont considérées par certains comme ne pouvant disposer d’autonomie politique, constitue un marqueur fort depuis plus de 30 ans à l’Unapei. Nous restons cependant vigilants parce que nous revendiquons un droit de vote plein et entier, sans aucune restriction. Dans ce cadre, il faudrait que les professions de foi des candidats soient en FALC (Facile à Lire et à Comprendre) et que les bureaux de votes soient adaptés en termes de parcours des votants. Les associations du réseau ont développé des solutions à déployer sur tout le territoire dans cette perspective ».

Les personnes en situation de déficience intellectuelle et cognitive souffrent elles encore d’une forte discrimination en France ?
« Une étude récente démontre que la loi de 2005 a fait bouger les choses dans ce domaine. Le regard sur le handicap est beaucoup plus positif et enthousiaste. L’expérience de «Mélanie peut le faire», de cette jeune femme trisomique qui a présenté la météo a généré peu de commentaires négatifs sur les réseaux sociaux. Par contre la perception des personnes handicapées n’est pas aussi positive. Dans les faits il y a encore beaucoup à faire, il suffit de lire certains commentaires ou articles sur le droit de vote des personnes sous-tutelle. Il y a encore une méconnaissance et des craintes. Le handicap intellectuel et cognitif continue à faire peur ou à donner lieu à des représentations erronées. Par ailleurs des dizaines de milliers de personnes handicapées se voient nier en France le droit à l’accompagnement et donc à l’exercice des droits fondamentaux qui leur permettraient de vivre autonomes et incluses dans la société. Il s’agit là d’une discrimination majeure à leur égard. C’est la raison pour laquelle, l’Unapei a déposé en mai dernier devant le Conseil de l’Europe une réclamation collective avec 2 réseaux européens, l’APF (handicap moteur), le Clapeaha (polyhandicap et handicap à besoins d’accompagnement complexe), la FNATH (accidentés de la vie) et l’UNAFAM (handicap psychique) pour dénoncer les multiples manquements de l’Etat français en la matière. Ce type de décision met la pression sur l’Etat les prochaines années pour se mettre en conformité avec la charte des droits sociaux du Conseil de l’Europe et la Convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées. De telles réclamations ont par le passé donné naissance à titre d’exemple aux différents plans autisme ».

Déficience intellectuelle : Le monde de l’entreprise
« Le pourcentage de personnes handicapées intellectuelles et cognitives qui travaillent en milieu ordinaire est faible. Les exemples réussis sont positifs mais peu significatifs au regard de la population concernée. Les établissements de soutien et d’aide par le travail (ESAT) constituent des formes d’entreprises inclusives à considérer, car elles emploient en France plus de 120 000 travailleurs handicapés les plus éloignés du travail ».

Pour plus d’infos sur l’UNAPEI et sur la déficience intellectuelle : www.unapei.org

En photo : Marie-Aude Torres Maguedano, Directrice Exécutive de l’Unapei.

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