Rechercher
Fermer ce champ de recherche.

APF Entreprises : Quelles impressions face à la Loi Travail ?

APF Entreprises fait part de ses impressions au regard de la loi travail
Écouter cet article

APF Entreprises fait part de ses impression face à la Loi Travail 

L’une des grandes mesures promulguées par Loi Travail concerne les Entreprises Adaptées, qui voient leurs relations avec le milieu ordinaire profondément changées, du fait d’une refonte du calcul de la déductibilité liée à la sous-traitance. APF Entreprises, qui a dans un premier temps accueilli avec enthousiasme cette simplification, réalise que les grandes entreprises clientes ne le voient pas du même œil et auraient plutôt tendance à se désengager. Une situation d’urgence que nous commente Serge WIDAWSKI, directeur national d’APF Entreprises (Direction des Entreprises Adaptées et des activités commerciales des ESAT de l’Association APF France handicap).

Quelle a été la réaction d’ APF Entreprises à l’annonce du nouveau mode de calcul de déductibilité des entreprises qui sous-traitent au secteur adapté ?
Nous n’avons pas été surpris de cette annonce, car elle est une conséquence logique du nouveau mode de calcul de l’aide au poste (AAP) basée sur la DSN (Déclaration Sociale Nominative), en réponse à la demande des entreprises elles-mêmes, soucieuses d’alléger et de simplifier leurs déclarations annuelles. La suppression des unités bénéficiaires (UB) résulte simplement de l’incompatibilité avec la DSN.

Par contre les premières réactions de nos grands clients nous inquiètent. Elles montrent leur incompréhension face aux évolutions en cours. Nous constatons que cela se traduit déjà par une certaine démobilisation vis à vis du secteur adapté et protégé (STPA). Cela nous surprend d’autant plus que nous avions la conviction que l’accord signé cet été (Cap vers l’entreprise inclusive 2022) entre le STPA et le Ministère du Travail était porteur d’un bel espoir collectif pour résorber une partie du chômage des personnes handicapées (plus de 500 000 personnes actuellement).

Mais que s’est-il passé alors depuis cet accord ?
Revenons un instant sur cet accord pour bien comprendre le phénomène qui a suivi : le secteur des EA s’est engagé à recruter 40 000 personnes (soit à doubler de taille) dans la période 2018-2022 avec en regard un engagement d’accompagnement approprié de la part de l’État. Il s’agit à la fois de poursuivre la croissance du modèle d’EA actuel, tout en introduisant des expérimentations de grande envergure pour permettre plus d’inclusivité et de fluidité des parcours. On évoque ainsi des solutions qui se rapprochent de celles des entreprises d’insertion (EA Tremplin) ou du travail temporaire (EATT).

Cet accord, par cette ouverture du secteur et ce soutien manifeste de l’État, nous a profondément réjouis car il occasionne de nombreuses opportunités de contractualisations innovantes avec nos clients et partenaires. Nous étions donc légitimement optimistes pour le secteur et aussi pour nos clients face à ces perspectives.

Mais il restait, pour garantir le succès complet de toute cette opération, à sécuriser aussi l’autre composante majeure de l’équation économico-sociale : l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés (ou OETH). Et c’est là qu’un certain flottement dans les concertations paritaires sur ce sujet, à la fois en termes de synchronisation temporelle et de contenu, est en train de propager un climat de doute et de scepticisme chez nos partenaires.

Pouvez-vous préciser un peu plus les causes de ce malaise ?
Je crois qu’il y en a plusieurs et de natures différentes.
D’une part les messages portés par le gouvernement peuvent prêter à confusion : insister fortement sur l’emploi direct en entreprise ordinaire comme il le fait est tout à fait louable et justifié. Par contre à trop insister, on peut aussi laisser entendre que cela s’oppose à l’emploi indirect (c’est à dire à la sous-traitance). Je ne crois pas que cela soit l’intention, d’autant qu’en EA les personnes employées sont aussi en emploi direct (et majoritairement en CDI de surcroit), mais c’est comme cela que le message est parfois perçu. Au-delà de cette rhétorique, pour les entreprises, le seul indicateur du taux d’emploi direct est relativement défavorable à celles qui remplissaient bien leur obligation d’emploi jusqu’à maintenant en recourant massivement au STPA, et qui brutalement se verront mesurées sur la base d’un taux nettement réduit (l’actuel taux diminué de l’équivalent des UB disparues). C’est à la fois injuste vis-à-vis de leurs engagements actuels et passés et aussi dévalorisant pour le STPA, qui se trouve réduit à une simple déduction comptable ! Ces entreprises nous posent la question : « Quel est l’intérêt de continuer à travailler avec le STPA ? », ce qui montre l’urgence d’une clarification au plus haut niveau.
D’autre part, même en rappelant à nos entreprises clientes que l’intérêt financier est plus ou moins inchangé pour elles (cela restera néanmoins à confirmer dans les futurs décrets d’application) et que seul le mode calcul de la déduction est modifié (diminution de la facture à l’AGEFIPH versus déduction d’UB actuellement), ils ne sont pas convaincus pour autant. Pourquoi ? La réduction de la contribution AGEFIPH s’apparente à un avantage fiscal. Or en matière de défiscalisation, les entreprises peuvent faire appel à tout un arsenal de dispositifs (nationaux voire même internationaux). Rajoutez à cela que le recours au STPA est généralement perçu comme complexe et lourd à gérer administrativement en comparaison à d’autres dispositifs de défiscalisation et vous comprenez pourquoi les arbitrages des groupes (en termes d’effort et de promotion) risquent de se faire au détriment du STPA.

À titre d’exemple, un de nos clients, avec qui nous entretenions des relations depuis 25 ans nous a annoncé il y a quelques jours avoir pris la décision à effet immédiat de transférer sa sous-traitance en Hongrie, en évoquant des questions de compétitivité internationale. Pourquoi maintenant, alors qu’elle se refusait à le faire jusqu’à présent ? Le manque de lisibilité sur l’avenir du secteur couplé avec l’urgence du résultat à mon avis.

Mais pourquoi, selon vous on est passés à côté et est-ce trop tard ?
Là aussi, deux raisons principales :

  1. Les concertations sur l’avenir des EA et sur l’OETH, je le répète, ne se sont pas faites simultanément, ni en cohérence et pas par les mêmes instances. C’est risqué et des ajustements par voie de décrets ultérieurs seront probablement nécessaires pour corriger des effets indésirables potentiels. Beaucoup d’efforts et de temps perdu en perspective !
  2. Une deuxième occasion a été manquée à date. Il s’agit de la loi PACTE (Plan pour l’amélioration de la compétitivité des entreprises) portée par le Ministère de l’Économie et de son volet Responsabilité Sociétales des Entreprises (RSE). En effet nous espérions que des dispositions relatives au recours à notre secteur soient mises en place. Malheureusement les bonnes pratiques en matière de RSE sont simplement encouragées sans qu’aucune incitation ni fiscale, ni autre ne soit prévues. Des vœux pieux donc, mais qui ne pèsent en général pas lourd pour les entreprises face aux fortes pressions pour délivrer des résultats, de la croissance et des chiffres dans l’établissement de leurs priorités.

Quant à savoir si c’est trop tard ? Je ne le crois pas. Nous allons mobiliser nos forces avec nos partenaires du secteur (les autres associations, l’UNEA, les travailleurs indépendants handicapés, etc.) pour lancer des campagnes d’explication à l’attention de nos partenaires entreprises, et peut-être aussi interpeler le gouvernement sur la contradiction actuelle. D’un côté, on met tout en place pour soutenir un engagement fort vis-à-vis des entreprises adaptées, et de l’autre, on fragilise le recours à la sous-traitance du côté des entreprises.

Gardons espoir, les enjeux sont très importants et je suis convaincu que l’intérêt collectif prévaudra. Les entreprises adaptées sont en tous cas prêtes à jouer leur rôle de levier essentiel vers un emploi plus inclusif !

En photo : Serge WIDAWSKI, Directeur National APF Entreprises – Direction Nationale

Ces articles pourront vous intéresser :

Facebook
Twitter
LinkedIn

Commentaires