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Ad’AP : ITINÉRAIRE D’UN ENFANT GÂTÉ

AD'AP Joël Hovsepian
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L’histoire d’une mesure qui divise : l’AD’AP; par Joël Hovsepian, expert près la cour d’Appel d’Aix en Provence, expert près la Cour Administrative d’Appel de Marseille. Fondateur de Precodia, cabinet d’ingénierie conseil incendie et accessibilité 

2015 a sonné le réveil d’un géant longtemps endormi, assoupi depuis une dizaine d’années, depuis la loi qui lui a donné naissance en 2005. Bien qu’il fut extirpé de sa longue léthargie avec une infinie douceur et une grande bienveillance, son retour à la réalité ne fut pas sans embûches. L’ordonnance de 2014 lui a donné une année pratiquement pour se mettre en place et faire montre de son efficacité. Mais, nonobstant la bonne volonté de tous les protagonistes de cette entreprise, celle-ci a connu des couacs, des difficultés et autres turpitudes. Et pourtant, le mécanisme de l’agenda d’accessibilité programmée (AD’AP) avait tout, au départ, pour rencontrer si ce n’est un franc succès, du moins éviter les écueils prévisibles d’une réglementation pour le moins impopulaire.

Impopulaire mais comprise. Impopulaire mais acceptée, philosophiquement et moralement. Car il ne fait de doute pour personne que l’accès à tout, pour ceux qui connaissent une perte de mobilité, est une nécessité, une évidence et un devoir. Tout aurait été parfait, si l’application de ces mesures et la réalisation de ces considérations morales n’avaient pas été contraignantes. Mais malheureusement, ce n’eut été possible que dans un conte de fées. L’application de la réglementation entraîne et entraînera des contraintes parfois difficiles pour ceux qui doivent l’appliquer et la respecter. Nous ne reviendrons pas sur les principales raisons de ces difficultés désormais connues et fruit d’une préparation imprécise et d’une concertation largement absente ou trop insuffisante. Il faut se tourner vers l’avenir et faire en sorte que ce chantier arrive à son terme en ne laissant personne sur le bord du chemin ou en ne frustrant personne.

Le sentiment d’injustice des uns ou des autres serait le témoin d’un cuisant échec s’il était ressenti désormais. Si l’on réclame discernement et bonne administration, il faut commencer par balayer devant sa porte, il faut faire taire un instant la voix de la contestation et ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain selon l’expression populaire. Toute la réglementation PMR, toutes ses conditions d’application ne sont pas teintées d’imperfections et de difficultés.

Une éclaircie ne doit pas faire oublier les nuages qui pointent au loin

Aujourd’hui, depuis maintenant huit années pratiquement, l’application de cette réglementation dans le neuf ne pose plus de problèmes. Les impératifs d’accessibilité font partie des contraintes constructives au même titre que d’autres et sont appliquées. De plus, le récent assouplissement apporté en matière de bâtiment d’habitation collectif et de maisons individuelles témoigne de la prise en compte des intérêts de chacun et de la volonté d’assouplir l’application de cette réglementation par une meilleure acceptation.

Cependant, une éclairicie ne doit pas faire oublier les nuages qui pointent au loin et obscurcissent le ciel. Une hirondelle n’a jamais fait le printemps dit-on. L’application de ces règles dans les établissements existants demeure et restera, à moins d’une refonte et d’un assouplissement, un caillou dans la chaussure de notre géant qui boîte et grimace à chaque pas sur le long chemin de l’accessibilité. Les raisons sont hélas nombreuses, de l’inadaptation de la réglementation à certaines situations, du manque de flexibilité des normes au cadre bâti existant, en passant par les difficultés que peuvent connaître les plus déterminés des exploitants.

Une fois encore, ne nous attardons pas sur les raisons structurelles et techniques qui ne s’estomperont que lorsqu’une véritable concertation et une refonte des principes fondamentaux de la réglementation seront opérés. L’AD’AP a été présenté comme la solution idéale lui conférant un caractère quasi messianique. C’eut pû être le cas. Sur le papier, ce mécanisme présentait toutes les apparences d’une solution idéale, mais sur le papier uniquement. Il suffit d’en rédiger un, de tenter d’en faire accepter un pour se rendre compte que l’illusion était parfaite. Réaliser un AD’AP peut s’avérer, pour l’exploitant, un véritable chemin de croix, une pénitence. La chose est délicate sur le plan technique, difficilement acceptable sur le plan financier mais se transforme carrément en périple, voire en odyssée lorsqu’il s’agit d’en entamer le volet administratif.

Il eut été pourtant simple de concevoir un mécanisme souple, aisé à mettre en œuvre, rapide à conclure. Mais gageons que la simplicité n’est pas de ce monde administratif. Sans crier gare, sans autre avertissement, tous ceux qui ont déposé des AD’AP en préfécture et en mairie, comme l’avait appelé de ses vœux le secrétariat d’État en charge, se sont vu retourner leurs dossiers préfectoraux …Sans autre explication qu’un refus de prise en charge. Il fallait ainsi deviner que seules les mairies devenaient destinataires des précieux dossiers. Que dire de ceux qui ont eu l’audace de les déposer à la DDTM chargée de leur instruction ? C’eut été pourtant simple de déposer documents et attestations sur le bureau de ceux qui vont avoir la responsabilité de leur instruction.

Une fois encore, la simplicité n’est pas de ce monde. Et un double examen attend tout dossier. La complétude des dossiers est préalablement examinée en mairie avant que ceux-ci ne puissent atterrir sur le bureau des instructeurs et recevoir l’attention qu’ils méritent.

À partir de ce moment, la croisade vers l’accessibilité prend une tournure des plus inattendue, tutoyant l’ubuesque, frôlant le kafkaïen.

Le formulaire CERFA permettant de déposer un AD’AP est tout simplement celui de l’autorisation de travaux auquel on a ajouté quelques lignes et quelques cases. De ce fait, certainement par manque d’information, nombre de dossiers sont traités comme des demandes d’autorisation de travaux et réclament de leurs pétitionnaires la production de pièces complémentaires qu’il est tout simplement, parfois, impossible de fournir. Et pour cause, elles n’ont pas de raison d’être.

La réglementation énumère des cas, limités, de dérogation et lorsque le demandeur se trouve dans l’un de ces cas, quelle n’est pas sa surprise de se voir réclamer le plan des travaux pour lesquels il sollicite, de bon droit et en toute bonne foi, la dérogation.

Ne faisons pas le procès d’un système qui porte en lui sa propre contradiction

Que dire également des interprétations différentes que l’on peut avoir sur une même problématique d’une commission d’accessibilité à l’autre, d’un département à l’autre bien que certains points aient fait l’objet d’une clarification ministérielle. Ne faisons pas le procès d’un système qui porte en lui sa propre contradiction, n’accablons pas ceux qui ne font qu’en suivre le fonctionnement, contraints d’en cautionner les aberrations parce que n’ayant pas d’autonomie, ou si peu. Il ne sert à rien de tirer sur l’ambulance si ce n’est d’hypothéquer encore les chances de guérison du malade. Tournons-nous vers l’avenir, essayons de dégager le positif de cette entreprise, et pourquoi pas, d’en augmenter l’efficience par une réflexion concertée et raisonnée.

Il ne faisait de doute pour personne, ou peut-être pour les plus candides, que l’échéance du 27 septembre 2015 pour le dépôt des AD’AP ne serait pas respectée et que l’immense majorité des ERP n’auraient pas déposé le leur. Ce n’est pas les merveilleux exemples mis en lumière par la délégation ministérielle à l’accessibilité qui auront pu nous en convaincre. Il ne faut pas confondre un grain de sable et une plage. Pourquoi avoir entretenu un pseudo mystère sur une prolongation au 31 décembre qui n’était rien d’autre qu’une évidence ?

Il eut été si simple de prévoir un délai largement plus grand pour laisser le temps à ceux qui doutent de s’approprier la démarche. Il eut été si simple de faire un CERFA spécifique pour l’Ad’AP.

Alors demain ? Demain est incertain. L’adhésion de tous à la démarche a du plomb dans l’aile et ceux qui s’y engagent, parfois à reculons, n’ont d’autre ambition que de rechercher tout motif, occasion de dérogation pour ne rien avoir à faire. Alors qu’il était représentatif d’une avancée, d’un assouplissement, le mécanisme de l’Ad’AP devient, au fil du temps, un carcan dont il est difficile de se sortir, un labyrinthe aux arcanes sombres et tortueuses et surtout l’inverse d’une solution. Une fois de plus les grands perdants de cette démarche sont ceux qui auraient dû en être les premiers bénéficiaires, tant les PMR que les exploitants, les premiers pour la reconnaissance et la consécration matérielle de leur autonomie, et les seconds pour la souplesse d’actions devenues quasi indolores.

Nous l’avons évoqué depuis un certain temps maintenant et nous le réaffirmons ici encore, il est nécessaire de repenser la réglementation, non en ce qui concerne ses objectifs mais pour ce qui est de ses moyens et de sa mise en œuvre. Donner l’ascendant à l’adaptabilité sur l’accessibilité qui, si philosophiquement est une bonne chose, pratiquement se révèle plus un frein qu’un facilitateur. Prendre en compte les réelles difficultés qu’éprouvent certains exploitants, tant sur le plan pratique que financier. Même la meilleure des volontés ne pourra pas pousser les murs d’un local, d’un établissement dans lequel la place manque pour l’exploitation quotidienne. La crainte d’une santion ne pourra pas donner les finances pour les travaux alors qu’elles sont incertaines au quotidien.

Combien d’exploitants sont vent debout quand on leur parle d’accessibilité alors que la voie publique ne permet pas aux PMR d’accéder, ou si peu, à leur établissement qu’on leur demande de rendre conforme ?

Il serait facile, commode et aisé de continuer cette longue litanie, de tourner ces propos en complainte et d’endosser, un temps, le costume d’un robin des bois, défendant l’opprimé. Mais cela n’a aucun intérêt et chacun devra balayer devant sa porte et faire son mea culpa et son examen de conscience. Les exploitants pour une certaine réticence à s’engager, les associations pour leur rigidité, certes compréhensible mais improductive, l’administration pour son manque de clairvoyance et sa nage en eaux troubles entre deux courants opposés.

Et il serait encore plus facile de clouer au pilori l’Ad’AP. Trop facile et certainement malhonnête. L’esprit de la mesure est bon. Donner du temps aux exploitants pour réaliser des aménagements est certainement et incontestablement la meilleure manière de les faire adhérer. Même si les PMR, et c’est compéhensible, aimeraient plus d’aménagements plus vite, ce mécanisme leur rappelle qu’il vaut mieux un peu pendant longtemps que peu tout de suite.

Mais alors, si la mesure est bonne, si le mécanisme est adapté, pourquoi n’y a t il pas plus de facilité à son application, pourquoi ne rencontre-t-il encore qu’un succès en demi-teinte, malgré les chiffres avancés que l’on se garde bien de comparer au nombre de dossiers qu’il serait logique de voir déposés ?

Peut-être parce qu’elle est encore trop vécue comme une contrainte, comme une obligation, comme une énième charge qui pèse sur la tête des exploitants. Parce qu’elle est ressentie comme une défiance envers ceux qui en ont besoin, comme une reculade de plus. Peut être parce que c’est ainsi qu’elle a été présentée, maladroitement pensée, parce que décidée sans que la concertation soit effective entre ceux qui la vivent au quotidien.

            Oui l’Ad’AP est un bon mécanisme mais il est urgent d’en revoir les conditions et l’application pour qu’il devienne enfin efficace à plein régime. Et c’est en y associant ceux qui en sont les acteurs que l’on y réussira, en simplifiant les procédures.

C’est en instaurant, peut-être est-ce être naïf que de le penser, une confiance a priori que l’on obtiendra les meilleurs résultats. Aujourd’hui, le contrôle aléatoire des dossiers, les retours de dossiers, les demandes de compléments parfois impossibles à satisfaire, ne font que plomber l’Ad’Ap et lui ôter toute souplesse.

Laissons les exploitants réaliser et déposer leurs Ad’AP comme des lettres de bonne intention et contrôlons chaque année la réalité des aménagements prévus. À ce compte-là les sanctions seront comprises, perçues comme des réponses à un comportement incivique et non plus comme une épée de Damoclès symbole d’une injustice flagrante.

Au lieu de monter les parties l’une contre l’autre, transformons-les en partenaires et donnons leur la liberté de montrer qu’ils sont responsables et citoyens. Une mesure acceptée est un progrès, une mesure imposée est un échec programmé.

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