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Accès aux soins et handicap : “Tout reste à faire” pour Pascal Jacob

Accès aux soins et handicap : "Tout reste à faire" pour Pascal Jacob
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Accès aux soins et handicap : Pour l’accès aux soins des personnes vivant avec un handicap, tout reste à faire !

L’accès aux soins est une notion qui en France nous semble évidente, naturelle et presque gratuite. Si c’est le cas pour la majorité des français, ce qui est une chance, ça ne l’est pas pour tout le monde, loin de là. Nous pourrions croire que les personnes vivant avec un handicap sont les plus directement liées à l’offre de soins, or il n’en n’est rien. La réalité des faits est même particulièrement glauque. Pour évoquer le thème “Accès aux soins et handicap”, nous avons rencontré Pascal Jacob, fondateur de l‘association Handidactique et à l’origine de la Charte Romain Jacob, du nom de son fils handicapé décédé faute de soins.

Pascal Jacob a eu trois enfants dont deux très lourdement handicapés. Il a bien sûr été amené à les accompagner dans leur vie et dans leurs soins. Un jour, son fils Romain a eu besoin de se faire enlever des dents de sagesse. Mais lors de l’opération, il a été victime d’une erreur d’anesthésie qui l’a plongé dans le coma et l’a immobilisé à l’hôpital durant une année. « Je suis entré dans une énorme colère, parce qu’à l’hôpital on sait soigner les malades mais on ne sait pas les accompagner », s’insurge Pascal Jacob. « Je me suis fâché et l’on ma demandé du coup de faire des rapports sur la situation » poursuit-il. L’un de ces rapports retranscrit la concertation de tous les acteurs en lien avec le handicap au niveau national et local, y compris la médecine de ville.

Quelles actions Handidactique a-t-elle porté ?

L’action d’Handidactique s’ancre profondément dans l’évolution de l’accès aux soins. Un jour notre association a réuni dans une salle plus de 150 de ces acteurs, avec plus de 20 personnes en situation de handicap, pour échanger. « Le constat que nous avons fait, c’est que ces personnes ne se connaissaient pas alors qu’elles avaient à faire les unes aux autres. Elles ne parlaient pas le même langage, mais le pire c’est qu’elles ne savaient pas qu’elles pouvaient s’entraider », déclare Pascal Jacob.

C’est de là qu’est née la rédaction de la « Charte de l’accès aux soins de personnes vivant avec un handicap ». Mais ce qui est important c’est qu’elle le fût en utilisant les propres mots des participants. « J’étais bien sûr invité à signer la charte lors d’une cérémonie et malheureusement, mon fils Romain est mort peu avant, faute de soins, et dans des conditions effrayantes » s’attriste Pascal Jacob. Marisol Touraine, alors ministre de la santé, a souhaité que l’on donne le nom de « Romain Jacob » à la charte que l’on venait de signer.

Cette charte éthique de recommandations a pour but de fédérer l’ensemble des acteurs autour de l’amélioration de l’accès aux soins et à la santé des personnes vivant avec un handicap. Elle a été signée par le chef de l’État et bénéficie aujourd’hui de plus de 7000 signataires français et étrangers. Ce sont entre autres les organismes de soins, les fédérations des hôpitaux, ARS, groupements de territoire, syndicats, des ministres…

En quoi la charte a-t-elle fait évoluer la situation des soins ?

« Elle été déterminante à bien des endroits. La crainte des personnes en situation de handicap était que cette charte soit encore un papier de plus dans un tiroir, et là j’ai dit non ! Et pour cela je leur ai dit qu’elles allaient pouvoir évaluer sa mise en œuvre avec leurs propres mots. Nous leur avons posé le type de questions auxquelles elles souhaitaient pouvoir répondre et la première d’entre elles fût : « Avez-vous eu accès à un soignant ?». Une question qui paraissait idiote et pourtant de nombreuses personnes témoignaient du fait qu’elles n’avaient pas eu accès aux soins.

La seconde demande portait sur la possibilité d’être accompagnée par la personne de notre choix lors des soins, comme la loi l’exige. Mais une fois de plus il fallait constater que cet accompagnement était refusé. Le troisième point concernait la participation de la personne elle-même à son parcours de soin. La quatrième question, qui a étonné tout le monde, concernait la prise en compte de la douleur. Lorsque nous avons lancé le questionnaire, les retours nous ont glacés.

Tout d’abord nous avons constaté que 20% à 25% des personnes sont aujourd’hui privées de soins, et dans certaines régions on dépasse les 50%. À la question sur le droit à l’accompagnement, ce sont 30% des personnes qui ont répondu par la négative. À la question sur le droit à l’information, c’est 90% de réponses négatives et à la question sur la reconnaissance et la prise en charge de la douleur ce sont 92% de réponses négatives. Cela a créé une onde de choc qui mettait à jour le déni du système de santé face aux personnes vivant avec un handicap.

À la suite des résultats, de nombreux acteurs de santé ont souhaité ajouter des questions, que ce soit les hôpitaux, la CNAM, des ministères… Mais je n’ai accepté que les questions dont on savait quoi faire des réponses. Chaque personne en situation de handicap peut aujourd’hui répondre à ce questionnaire grâce à l’application gratuite et téléchargeable : « Handifaction ». Cette application permet aux personnes en situation de carence de soins de se faire entendre et de consulter l’évolution de la situation globale en continu.

Qui sont les fautifs de ce dysfonctionnement en matière d’accès aux soins et handicap ?

La première chose que nous avons cherché à identifier, c’est « Qui refuse ? ». Les premiers qui refusent ce sont les spécialistes en ville : les dentistes (30%), les dermatologues, les cardiologues, les ophtalmologues, gynécologues (30% des femmes concernées) … en réalité, ce sont tous les métiers du soin. Cela représente 30 à 35% des refus de soins. La deuxième catégorie qui refuse le plus ce sont les services hospitaliers (hors urgences) qui représentent 16%. Ensuite ce sont les généralistes puis l’hospitalisation à domicile, les maisons médicalisées de proximité puis le médico-social.

Nous sommes allés voir ces spécialistes pour leur demander pourquoi. Ils n’ont pas nié le refus de soins et leur réponse a été : « Nous ne sommes pas formés, nous ne connaissons pas le handicap ! ». Mais ils n’osent même pas envoyer les patients à des collègues qui n’en veulent pas non plus. Le deuxième niveau de réponse a été : « Nous ne savons pas faire et nous n’avons pas d’aide face aux handicaps lourds ». Le troisième niveau de réponse est financier, pour une personne lambda, une prise de sang prend 5 minutes et rapporte 23 euros. Pour certaines personnes handicapées, cela peut prendre de 45 minutes à 1h30 et sera payé de la même manière par la sécurité sociale. Ce n’est pas normal, nous sommes le seul pays d’Europe qui a la même tarification pour une personne en situation de handicap et une personne sans handicap. Ce sont donc des raisons valables qui nous sont adressées et nous sommes en train de travailler avec la CNAM pour revoir cela. Nous travaillons aussi avec les universités pour revoir la formation.

Nous travaillons aussi avec les unités de soins dédiées aux personnes en situation de handicap, pour qu’elles ouvrent leurs portes aux soignants qui souhaitent apprendre et pouvoir accueillir leurs patients en situation de handicap dans de bonnes conditions. Nous demandons aussi aux professionnels de santé de signaler sur des sites comme « Doctolib » leur niveau d’accueil en fonction des handicaps. Cela ne justifie d’ailleurs pas toutes les carences d’accueil dans les hôpitaux.

Si tous ces aspects représentent une part importante des refus de soins, les autres critères sont tout aussi importants, comme refuser un accompagnement car c’est l’assurance pour les personnes concernées de devoir repousser ou annuler le soin. Le soignant doit aussi comprendre que la personne concernée est une experte de son handicap et qu’il faut donc écouter et prendre en compte la parole de cette personne. Dans ce triste constat, le pire c’est que plus de 10% des personnes finissent par renoncer définitivement aux soins. C’est une catastrophe sans précédent et ce taux peut dépasser les 50% pour les personnes âgées et/ou atteintes de troubles psychiques.

Dans le secteur médico-social, le problème existe aussi : 60% des MAS (Maison d’Accueil Spécialisé) n’ont pas de médecin et font systématiquement appel au SAMU et aux Urgences… en engorgent de fait les hôpitaux pour des soins qui relèvent du médecin généraliste.

Que pouvez-vous faire de plus ?

Je ne vais pas lâcher ces personnes et les résultats d’Handifaction seront toutes les fins de trimestre sur le bureau du Président de la République et des ministres concernés. On ne pourra pas dire que l’on ne sait pas ! Aujourd’hui l’étude Handifaction est reconnue comme essentielle car elle permet de mesurer les défaillances du système au lieu de les ignorer. Nous mesurons aujourd’hui ce que tout le monde savait et que personne n’avait envie d’entendre. Mais il ne faut pas accabler tout le système, il faut simplement prendre un peu de recul pour trouver les bonnes solutions. 

Affiche Handifaction – Accès aux soins et handicap

Quel sont les enjeux  d’évolution en matière d’accès aux soins et handicap ?  

L’accès aux soins et la Charte Romain Jacob sont une clé de voûte du changement qui doit s’effectuer. Nous progressons de deux manières, tout d’abord par une sensibilisation qui va s’amplifier avec l’aide des médias nationaux et d’une campagne d’affichage. Notre force c’est que les résultats d’Handifaction sont publics, chacun peut les consulter et cela incite plus de personnes à participer à l’enquête.

Le deuxième élément sur lequel nous avons à travailler, ce sont les urgences qui accueillent 50% de personnes qui n’ont rien à y faire mais ne trouvent pas de réponse médicale ailleurs. C’est donc le dysfonctionnement de la médecine de ville qui détruit le système de la médecine hospitalière. 

Pour répondre à nos préoccupations il faut que la médecine soit formée pour soigner tous les citoyens quel qu’ils soient. Deuxièmement, il est nécessaire que les besoins de premier recours de proximité ne se passent plus aux urgences mais dans des lieux de soins de proximité où tous les soignants doivent trouver de l’aide. Et enfin, il faut que la nouvelle tarification des soins permette à de nombreuses personnes de poursuivre normalement leurs soins. 

Comment comptez-vous atteindre votre objectif ?

Je veux passionner les gens en les intéressant à leur propre travail et en leur donnant les moyens  d’agir normalement dans leur métier. L’accès aux soins de tous doit faire partie du droit commun.  Pour cela il faut que les acteurs se connaissent, que l’hôpital connaisse la médecine de ville et ne soit pas clivé, que la médecine de ville ne soit pas complexée vis à vis de l’hôpital. Il faut que l’hospitalisation à domicile soit au service de l’hôpital et de la ville, il faut que le médico-social cesse d’envoyer ces résidents aux urgences pour de simples bobos. Et pour cela il faut parler le même langage et savoir s’entraider, pour que notre système de santé fonctionne.

Pour créer ce dialogue, il faut que tous se mettent autour de la table et c’est ce que nous allons faire le 21 janvier à Vannes pour le Morbihan. Cette première rencontre mettra au cœur du débat les personnes vivant avec un handicap. Pour 40% des personnes handicapées le besoin de soins se traduit par un réflexe hôpital même si ce n’est pas nécessaire. Ce taux est inférieur à 20% pour les autres pays d’Europe. Le jour où moins de personnes iront à l’hôpital, celui-ci se portera mieux.

Quelques mots de conclusion ?

Il faut que notre société de demain soit accueillante et accompagnante. Le préalable à une société inclusive c’est de valoriser la personne vivant un handicap en reconnaissant l’expertise dans son handicap, ainsi que l’expérience et les efforts incroyables qu’elle doit faire pour être dans la vraie vie. Ce sont ces personnes qui doivent parler d’elles-mêmes et non pas d’autres qui parlent à leur place.

En photo principale : Pascal Jacob, fondateur de l‘association Handidactique et initiateur de la Charte Romain Jacob.

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