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« Les aidants mènent une activité de bienveillance essentielle à la société »

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Serge Guérin est sociologue, docteur en sciences de la communication, professeur à l’ESG Management School et enseignant à Sciences Po Paris. Il est également rédacteur en chef de la revue « Réciproques » consacrée à la problématique des aidants et du don, et auteur d’un blog Alternatives Économiques. Il a écrit et co-écrit de nombreux ouvrages sur les thèmes de l’accompagnement des publics vulnérables, la place des seniors et l’intergénération.

 

Pouvez-vous nous présenter votre approche du vieillissement de la population?

Je privilégie l’approche positive. La séniorisation de la société signifie que nous vivons plus longtemps, ce qui est synonyme d’abondance de vie. Dans les années 1900, l’espérance de vie moyenne était de 46 ans, aujourd’hui elle dépasse les 82 ans.

Autre constat : Les séniors d’aujourd’hui ne ressemblent pas à leurs grands-parents. Non seulement ils vivent plus longtemps, mais globalement ils vivent aussi en meilleure forme plus longtemps. L’âge lui-même a rajeuni, ce qui est une nouveauté très intéressante pour l’évolution de notre société. Ainsi le vieillissement n’est plus uniquement pensé comme une perte, mais aussi comme un processus d’adaptation.

Par ailleurs le vieillissement de la population oblige notre société à regarder la fragilité de façon différente, et à comprendre que cela concerne beaucoup de personnes… et même tout le monde car nous sommes tous potentiellement fragiles, et amenés à vieillir. Cette prise de conscience incite la société française dans son ensemble (Etat, collectivités, acteurs) à adapter le pays à ces nouvelles réalités… ce qui au final bénéficie à tous.

 

Qui considère-t-on comme « aidant »?

La situation la plus problématique aujourd’hui est celle des aidants d’un proche. L’aidant d’un proche (ou proche aidant) est une personne qui consacre une grande partie de son temps à l’accompagnement quotidien d’une personne très fragilisée, qui se retrouverait totalement démunie sans son aide. En moyenne, un aidant bénévole accompagne la personne fragile vingt heures par semaine, et souvent bien plus…. Il ne s’agit pas forcément d’une personne de la même famille. Certains aidants sont des amis, voisins…

Les aidants professionnels jouent eux aussi un rôle extrêmement important, mais ils se distinguent des aidants proches du fait qu’ils exercent leur métier à partir d’un savoir professionnel et bien sûr en étant rémunéré.

Il y a également de nombreux bénévoles, issus du tissu associatif, qui jouent un rôle d’accompagnement plus ponctuel mais également important. Ce sont massivement des retraités.

 

Quelles sont les principales difficultés rencontrées par les aidants ?

– Quand un proche va mal, la première difficulté de l’aidant est de faire face et de prendre conscience que son proche a besoin de lui. C’est en quelque sorte une reconnaissance de soi-même comme « aidant ». Beaucoup ne se voient pas comme aidants mais comme des parents ou proches qui interviennent « naturellement » pour aider la personne. Ils peuvent trouver du soutien auprès du tissu associatif qui est très présent. Les collectivités s’investissent aussi. Le réseau Villes Amies des Aînés, notamment, aide les décideurs à agir dans l’accompagnement de l’avancée en âge et prend en compte la dimension des aidants.

– La seconde difficulté est de trouver une organisation adéquate. Comment faire pour aider quotidiennement cette personne tout en continuant à avoir une vie sociale, des loisirs, un logement séparé… ? Ces aspects sont extrêmement délicats à gérer.

– Parmi les autres difficultés, revient en permanence la question du travail, vrai problème économique et personnel : l’aidant est parfois contraint de cesser de travailler, ou de passer en temps partiel. Lorsqu’il conserve son activité, il doit trouver des alternatives, jongler avec les horaires. Certaines entreprises commencent à proposer des aides matérielles, des manières d’aménager le temps de travail, des abonnements à des sites spécialisés dans l’information et l’accompagnement des salariés aidants. Si la personne cesse son activité, se posent aussi des questions de ressources et de droits sociaux. Il importe aussi de préparer le retour à l’emploi du salarié aidant.

– Autre difficulté importante : le répit. À un moment ou un autre, toute personne a besoin de respirer et de penser à elle. La loi Delaunay (loi d’adaptation au vieillissement) prévoit d’instaurer un vrai droit au répit fonctionnant grâce aux mécanismes de l’APA, mais dans ce cas il sera aussi nécessaire de veiller à ce qu’il y ait une offre pour pouvoir l’assurer, notamment via des lieux d’accueil. Ce serait l’équivalent d’une semaine par an, ce qui est très peu, mais le fait de l’instaurer serait déjà une grande avancée.

 

De quel statut disposent les proches aidants aujourd’hui ? Dans quelle mesure sont-ils reconnus aux yeux de la société ? Et de la loi ?

Il n’y a pas de véritable statut d’aidant, ni de reconnaissance réelle. Cependant on assiste à une évolution considérable des mentalités depuis quelques années. Le travail des associations, la mise en place de la Journée des Aidants et la concertation lancée autour de l’élaboration de la loi Delaunay ont permis de faire émerger une réalité qui existe depuis longtemps mais qui était moins visible auparavant. Un collectif d’associations s’est mis en place pour organiser la prochaine Journée des Aidants. Ce type de dynamique montre que la société civile invente ses propres structures et une nouvelle manière de pratiquer la solidarité au plus près des personnes et des territoires.

Concernant la loi, les aidants n’ont que très peu de droits, à part ceux qui ont été instaurés en 2013 par la réforme des retraites Ayrault. Ce texte reconnaît en effet pour la première fois des droits spécifiques au « statut » d’aidant familial, ce qui revient indirectement à les reconnaître. Ainsi les aidants familiaux qui travaillent en parallèle peuvent, lorsqu’ils quittent leur entreprise pour accompagner un proche voir leur droit à la retraite se poursuivre, dans la limite de huit trimestres. De plus, les aidants familiaux qui exercent une activité à temps partiel ou se consacrent de manière permanente à l’aide d’un enfant ou d’un adulte lourdement handicapé bénéficient désormais de l’affiliation gratuite et obligatoire à l’assurance vieillesse sans conditions de ressources. Certaines entreprises accordent par ailleurs des droits tels que des congés sans soldes ou des dons de RTT, mais cela reste à leur appréciation. Des initiatives en faveur des aidants émergent aussi régulièrement au niveau local, par exemple via la création de maisons des aidants. À cela s’ajoutent les initiatives prises par les associations, et certaines collectivités et entreprises. Globalement nous sommes dans une bonne dynamique même si cela reste insuffisant.

 

Quel est (et quel sera) l’impact de la loi d’adaptation au vieillissement selon vous ?

L’élaboration de cette loi a permis d’entamer un travail d’échanges très constructif entre aidants, associations d’aidants et malades, experts, intellectuels, et acteurs institutionnels. Tous ont eu une voix au chapitre. C’est la première fois qu’un tel dialogue a pu avoir lieu sur la question du vieillissement et des aidants, et qu’on a décidé d’en faire l’axe d’une loi.

L’autre point essentiel de cette loi réside dans le fait qu’elle prévoit d’instaurer des droits pour les proches aidants, donc de reconnaître officiellement leur statut pour la première fois. Elle prévoit un droit au répit et à la formation, des aménagements professionnels, et une sensibilisation du corps médical… donc des éléments qui vont vraiment dans le bon sens. C’est une petite révolution dans le domaine des pouvoirs publics. Le choix a été fait d’accorder plus d’attention à la question de l’accompagnement des personnes fragiles.

Où en est la France par rapport aux autres pays ?

Comme c’est souvent le cas, les pays nordiques sont largement devant en termes de reconnaissance des aidants, de sensibilisation, de formation, et de soutien. La Grande-Bretagne a également fait beaucoup de choses. Elle a notamment mis en place une reconnaissance des enfants aidants, ayant constaté que dans ce pays environ 400 000 enfants accompagnent un parent, une frère ou sœur, touchés par une grave difficulté physique, psychique ou une addiction.

Il y a également des pays, comme les États-Unis, où les aidants sont particulièrement bien organisés et ont appris à faire valoir leurs droits en démontrant ce que représente l’apport financier des proches aidants.

 

Le dernier sondage BVA/Novartis (2010) estime à 8,3 millions le nombre d’aidants en France aujourd’hui. Et pour votre part, vous avez soutenu la valorisation de la contribution qu’ils apportent indirectement à l’économie française, estimée à 164 milliards d’euros par an. Que pensez-vous de ces chiffres ?

Si la question des aidants n’est pas réductible à la problématique économique, il est intéressant cependant d’en montrer l’importance en nombre et en dépenses invisibles, et de faire savoir que l’on compte plus de 8 millions d’aidants de personnes handicapées et de personnes âgées victimes de maladies de chroniques. C’est un fait social d’importance. Si l’on ajoute les aidants de personnes victimes d’addiction, la fourchette passe à 10 millions, dont de jeunes enfants. C’est énorme, cela représente un français sur six, et ce chiffre devrait aller croissant au fil des années.

De même, lorsqu’un collectif dont je fais partie – avec Paulette Guinchard, ancienne secrétaire d’Etat aux personnes âgées, Pierre-Henri Tavoillot, philosophe, maître de conférences à Paris IV, Thierry Calvat, fondateur de « Idées Solutions Sociétales » et Céline Dupré, co-fondatrice de Rose Magazine – a lancé en 2013 un « Appel national pour plus d’équité pour les aidants » (www.facebook.com/pages/Equitépourlesaidants): l’objectif était de faire valoir que l’impact des aidants peut sestimer à 164 milliards d’euros, soit les deux tiers des dépenses de santé annuelle. Il devient délicat pour les pouvoirs publics de passer à côté. La ministre, Michèle Delaunay, a su saisir cet enjeu et le porter comme aucun autre responsable politique ne l’avait fait. Il faut lui rendre hommage pour cela.

Ceci dit on ne doit surtout pas laisser penser que le soutien des proches aidants est une façon d’économiser de l’emploi. À un moment donné, on a besoin de compétences, de présence, de conseils… tout cela passe par des emplois directs et indirects qui sont essentiels. Le secteur des services à domicile et du soutien aux aidants recouvre plus de 300 000 emplois potentiels. L’un des enjeux est d’ailleurs de faire en sorte qu’il y ait plus de personnes formées pour accompagner et soutenir les aidants d’un proche. Les uns ne remplaceront pas les autres. Il faudrait mobiliser plusieurs millions d’emplois pour « remplacer » les aidants. Il est nécessaire de proposer des solutions d’accompagnement qui répondent à la diversité des besoins et des situations des aidants. J’insiste sur le terme « accompagner » plutôt qu’ « aider », car dans une approche qui s’inspire des théories du care, l’accompagnement implique que l’aidant construise les projets de soutien. Le soutien au répit est également l’un des axes à développer dans de nombreux cas.

 

En conclusion, les aidants sont en quelque sorte des soldats invisibles du soin, qui mènent une activité de bienveillance essentielle à l’économie et aux personnes aidées, et qu’on ne peut pas remplacer. Plus que de trouver de l’argent public, je pense que l’enjeu prioritaire aujourd’hui est de les rendre plus visibles, de reconnaître l’importance de ce qu’ils font et de les soutenir davantage à travers des actions publiques : conseil, formation, accompagnement, droits… C’est au niveau des territoires, et d’abord au niveau du Département, que nous devons inventer ces nouvelles actions. Les entreprises vont devoir aussi se mobiliser de plus en plus. Par ailleurs, un dialogue à trois doit également pouvoir se développer entre l’aidant, l’aidé et les professionnels de santé et de soin.

Propos recueillis par Caroline Madeuf

 

Pour aller plus loin, découvrez les deux derniers ouvrages en date de Serge Guérin : « La solidarité ça existe… Et en plus ça rapporte », éditions Michalon, novembre 2013, et : « Le droit à la vulnérabilité », co-écrit avec Thierry Calvat, éditions Michalon, mai 2011.

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Commentaires

2 réponses

  1. Bonjour. Je fais partie de l’association France AVC Normandie,et à ce titre je suis très étonnée que votre site n’évoque pas le problème des aidants de personnes ayant eu un AVC, suites qui sont dans de très nombreux cas très lourdes (handicaps moteurs, déficiences mentales entre autres). Les difficultés des aidants peuvent se situer autant sur le plan physique que psychologique ou financier.

  2. Bonjour,
    Merci pour votre commentaire. Nous avons choisi d’aborder le thème des aidants en général afin d’apporter des informations à l’ensemble des aidants, quel que soit le handicap des personnes qu’ils accompagnent au quotidien. Cela nous a semblé plus judicieux que de passer en revue les fonctions des aidants selon chaque type de handicap… sachant qu’il existe un nombre infini de handicaps. Par contre nous pourrions tout à fait aborder le thème de l’AVC et ses conséquences (sous un angle plus général que les aidants), nous y réfléchissons…
    Bien cordialement.