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Accessibilité : « Il manque un soutien fort des pouvoirs publics »

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Pierre Belman est président de la société Myd’l, qui conçoit et fabrique des solutions pour l’accessibilité et la sécurité.

 

Pouvez-vous nous présenter Myd’L ?

Myd’l est une société qui réfléchit à tout type de solutions face à la problématique de l’accessibilité. Elle a été créée en 1997 autour de deux grands thèmes : l’accessibilité et la sécurité. Puis Myd’l s’est rapidement imposée comme précurseur lors du vote de la loi du 11 février 2005. La société est connue pour ses rampes d’accès et notamment la gamme « Trait d’Union » qui permet aux personnes à mobilité réduite de franchir 1,2 ou 3 marches allant de 6 à 50 cm de manière simplifiée car elle s’installe en lieu et place des marches existantes. Le but est de permettre à ces personnes de franchir des obstacles de manière simple et à moindre coût pour les commerçants ou gestionnaires d’établissements recevant du public.

Sur le plan humain, la société dispose d’un un bureau d’études jeune composé de quatre personnes. La société travaille en permanence sur de nouveaux produits et est très active sur le plan innovation, invention, études, analyses, prototype, et fabrication. Une grande partie de ses clients sont des commerces de toutes tailles, banques, grandes surfaces, et toute autre structure souhaitant se rendre accessible.

 

Globalement, que pensez-vous de la situation de l’accessibilité en France aujourd’hui ?

Nous avons pris beaucoup de retard par rapport à la loi du 11 février 2005, pour laquelle on assiste à une déconfiture qui profite aux lobbies en opposition aux personnes en situation de handicap – qui ont assez peu de moyens pour se défendre. À l’étranger, les gens sont toujours étonnés que les Français aient besoin d’une loi pour favoriser l’accessibilité. En Suède, au Danemark, aux Pays-Bas, au nord de l’Europe ou ailleurs, c’est automatique et intégré dans l’ADN du bâtiment et de la société, qu’une personne en situation de handicap est une personne comme une autre. Pour eux la situation française est tout simplement incongrue… 

 

Que pensez-vous, plus particulièrement, de la situation pour : 

 

– Les villes ?

La situation est très disparate. Ce qui l’est encore plus, c’est le retard colossal pris par les bâtiments publics (mairies, villes…). Il y a un nombre incroyable de bâtiments inaccessibles. Nous le constatons rien qu’en observant le nombre de demandes d’Ad’ap déjà déposées aujourd’hui pour ces bâtiments publics. Beaucoup d’acteurs attendent d’avoir vraiment le couteau sous la gorge pour faire quelque chose.

 

– Les ERP ?

Il faut distinguer deux familles d’établissements recevant du public :

* Les grandes enseignes (enseignes bancaires, assurances, distribution alimentaire…) ont débuté leur démarche de façon proactive depuis quelques années. Cela s’est accéléré à l’échéance 2015. Reste donc à voir ce qui va se passer dans les mois à venir.

* Les petits commerces et les professionnels libéraux qui ont pleinement souffert de la crise économique se retrouvent dans une situation complexe. Certains veulent se rendre accessibles et ont la possibilité de le faire, d’autres le souhaitent aussi mais n’ont pas ou peu de moyens, et d’autres ne veulent tout simplement pas. On a aujourd’hui un commerce sur six qui est accessible (en incluant les grandes enseignes commerciales). Dans les grandes rues commerçantes, on compte plutôt à un commerce accessible sur 10.

 

– Le logement ?

Pour le logement neuf, on est à peu près aux normes. En principe, les permis de construire ne sont pas accordés pour des bâtiments qui ne seraient pas accessibles.

Pour le logement ancien, il est difficile de voir un avancement. Lorsque des adaptations sont nécessaires, on va plutôt voir de petits aménagements d’appoint, réalisées de façon artisanale et pas toujours esthétique (ex : adaptation d’une salle de bains et des escaliers pour une personne âgée). Il y a aussi le problème des responsables de copropriété qui bloquent fréquemment la situation… On assiste alors à un débat de sourds devant des personnes qui refusent catégoriquement de faire des travaux. Rappelons que la loi de 2005 permet de déroger à l’obligation d’accessibilité dans trois cas d’exception : une impossibilité manifeste, une disproportion économique cité ou encore dans le cas d’une préservation du patrimoine (bâtiments classés). Exceptions auxquelles s’est ajoutée récemment (ordonnance du 26 septembre 2014) la possibilité de ne pas faire de travaux en cas de refus des copropriétaires…

 

– Le numérique ?

Tout est à faire, mais pas tout à fait. Le numérique est un secteur en mutation permanente, ce qui rend les choses un peu plus simple. Ce qui change notamment, ce sont les personnes qui ont les produits en main. Un module accessibilité est désormais souvent inclus dans les Smartphones, tablettes, ordinateurs… Beaucoup de choses existent sur ce plan-là et les initiatives continuent à fleurir. La migration vers l’accessibilité numérique me semble donc quelque chose de plus atteignable, plus souple, et globalement moins coûteux que l’accessibilité dans les autres domaines.

 

– Les transports ?

L’une des grandes déceptions, c’est la non mise en accessibilité du métro parisien. Je trouve cela dommage. Il est compliqué de le rendre accessible, mais nous sommes dans un pays où l’on sait faire plein de choses, et où les pouvoirs publics aurait pu faire plancher des professionnels sur le sujet. Il y a clairement un manque de volonté sur ce point. Concernant les transports de manière plus globale, tous les trains et bus ne sont pas forcément équipés aujourd’hui ou ont parfois des systèmes qui ne fonctionnent pas. Par exemple il n’est parfois pas possible de descendre à certaines stations à cause de la hauteur des trottoirs. Comme pour le reste nous sommes en retard et les dispositifs sélectionnés sont souvent inadéquats.

 

Quel regard portez-vous sur le volet accessibilité de la loi du 11 février 2005 ?

Dans l’absolu, c’est plutôt une bonne loi. C’est une précision de la loi de 1975 qui n’était pas allée aussi loin. L’avantage, c’est qu’elle rend la mise en accessibilité obligatoire en prévoyant des sanctions. L’inconvénient, et c’est que là le retard a été pris, c’est que les décrets et circulaires qui ont intégré des normes et restrictions ont rendu la mise en application très compliquée (ex : les pentes à 5%, les portes de largeur 90cm, …). Il y a aussi un problème de cohérence au niveau des nombreuses dérogations et atténuations qui sont prévues. En somme, la loi de 2005 a permis une très bonne impulsion mais n’a pas été assez accompagnée. La loi est sortie en 2005, mais il a fallu attendre deux ans pour voir publiés ses arrêtés d’application. Puis en 2012, la sénatrice Claire-Lise Campion publiait le rapport «Réussir 2015 », indiquant que l’objectif accessibilité 2015 ne serait pas atteignable. 

 

Que pensez-vous du dispositif des Ad’ap ?

Les agendas d’accessibilité programmée ont été mis en place pour permettre aux exploitants et gérants d’ERP de pouvoir se mettre en accessibilité progressivement s’ils ne peuvent pas le faire avant le 1er janvier 2015. Dans ce cas ils devront préciser les travaux qu’ils doivent faire, ainsi que leur budget prévisionnel, et fournir des preuves sur leurs capacités financières à réaliser ces démarches. Cela fait beaucoup de choses à trouver. Comment trouver ce qui manque ? Et ensuite à qui s’adresser ? Le gouvernement a mis en place un site spécifique pour répondre à ces interrogations, mais un flou subsiste sur les produits autorisés ou non.

 

Selon vous, quel est et quel pourra être l’impact des Ad’ap sur la situation actuelle ?

D’une certaine manière, ça ne pourra pas être pire. Cela devrait permettre aux gestionnaires ou propriétaires d’établissements recevant du public d’échelonner leurs travaux et de bâtir une réelle stratégie patrimoniale.

 

Aujourd’hui, que pourrait-on faire pour avancer malgré tout sur le terrain de l’accessibilité ?

– Tout d’abord, il faudrait une vraie impulsion des pouvoirs publics, qu’ils définissent clairement les sanctions et qu’ils soient ensuite inflexibles.

– On pourrait également réfléchir à des mesures fiscales positives, comme par exemple appliquer une TVA réduite sur les produits dits favorables à l’accessibilité. Cela pourrait faire gagner un ou deux ans dans la mise en accessibilité et faire diminuer beaucoup le prix des travaux nécessaires.

– Par ailleurs il faudrait mettre en place un véritable accompagnement des pouvoirs publics au niveau local.

 

Quels sont les principaux freins à l’accessibilité aujourd’hui ?

Le premier frein est clairement économique. La finance est le nerf de la guerre aujourd’hui.

Il y a également un problème de perception, une question de société. Les gens ne considèrent pas comme une évidence le fait de rendre la société accessible à tous.

 

Sur quoi les professionnels de l’accessibilité peuvent-ils désormais s’appuyer pour maintenir une dynamique ?

Les professionnels de l’accessibilité sont aujourd’hui dans l’attente d’une précision des évolutions réglementaires. Le commerçant peu aguerri, même de bonne volonté, est incapable de savoir quel est le produit adéquat. Au final, on va se retrouver dans une situation, où les gens vont acheter des produits inadéquats faute d’accompagnement. 

 

Comment envisagez-vous l’évolution de l’accessibilité dans les années à venir ?

Je ne suis pas sûr que les choses iront aussi vite que souhaité au cours des prochains mois. Toutefois, la dynamique devrait être au rendez-vous si les pouvoirs publics respectent leur engagement d’accompagnement et de suivi. 

 

Propos recueillis par Caroline Madeuf 

 

Plus d’infos sur : www.mydl.fr

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